Les Nostalgies de l’Étoile, une œuvre de Lilian Euzéby

L’artiste Lilian Euzéby vit et travaille entre Paris et Nîmes. Tous les étés depuis 2008, il invite des amis artistes à exposer chez lui à la Maison Euzéby située entre Uzès et Nîmes. Ce sont ainsi près d’une quarantaine d’artistes qui ont montré leur œuvres. Lui-même a conçu La Nostalgie de l’Étoile entre 2010-2013. Un catalogue* accompagne cette installation monumentale qui mérite le détour, entre ciel, terre, air et mer.  

Les Nostalgies de l'Étoile, une oeuvre monumentale

Les Nostalgies de l’Étoile, une œuvre monumentale ©Lilian Euzéby

Dénombrer les étoiles : voici un jeu que tout artiste tente un jour, puisque c’est à lui qu’a été donné le pouvoir de bouleverser les codes de l’espace et du temps. C’est en cela que Lilian Euzéby est poète. Ici, l’ensemble est magistral et imposant (3m de haut sur 7m de large) en parvenant à résoudre le défi de donner à rassembler en un regard 88 constellations. L’œil est soudain rendu tout-puissant et s’attarde avec bonheur sur chaque constellation, en allant du général au particulier. Lilian Euzéby devient le petit prince amoureux d’une rose intersidérale qui se penche avec humour sur chaque galaxie en interrogeant la personnalité de chacune, et en les replaçant avec singularité dans le firmament de son mur. Il y a un astronome et un entomologiste en lui : l’un qui se penche sur l’infiniment grand du macrocosme et l’autre qui observe l’infiniment petit du microcosme. Pour réconcilier les deux, il s’inspire de la méthode du cabinet de curiosité en réordonnant le ciel selon sa lecture personnelle, celle d’un majestueux « trompe-l’œil céleste ».

Les Nostalgies de l'Étoile, in situ

Les Nostalgies de l’Étoile in situ                 ©Lilian Euzéby

Lilian Euzéby a compris que l’étoile est un sujet dangereux qui ne peut être abordé sérieusement qu’au second degré : il faut regarder les étoiles même si le passé a déjà usé ses yeux dessus. C’est alors que naît la nostalgie, cet amour mélancolique d’autres époques brouillées par les sables mouvants de la mémoire qui fut pourtant elle aussi guidée par les étoiles. Nous sommes tous nostalgiques d’une étoile, que ce soit de l’étoile des mages, des étoiles du désert, d’une danseuse-étoile, de l’étoile du Berger, de l’étoile des mers, de la bonne étoile et de toute la litanie somptueuse des célèbres étoiles qui éclairèrent nos civilisations des plus anciennes aux plus modernes. Il n’y a rien de plus mystérieux et troublant que de regarder une carte du ciel, en devinant les constellation auxquelles les hommes ont voulu donner des noms : Orion, la Grande Ourse, Andromède, la Lyre, Pégase, le Bouvier, l’Hydre, la Couronne boréale, le Serpent, l’Aigle, le Cygne, le Dragon, le Dauphin, et tant d’autres…mais comme l’esprit se cogne toujours à l’infini, l’œil se heurte toujours au monde des étoiles non dénombrées qui existent loin, si loin, que l’être est saisi par un vertige, comme le mur absorbe dans son trou noir chaque parcelle des cadres.

Les Nostalgies de l'étoile, notice poétique de l'oeuvre de Lilian Euzéby

Les Nostalgies de l’Étoile, notice poétique de l’oeuvre de Lilian Euzéby ©Lilian Euzéby

Il y a autant de sentiments que nous ne pouvons nommer en nous qu’il y a d’étoiles anonymes que nous ne connaîtrons jamais. Ne pouvant saisir le ciel dans sa totalité, Lilian Euzéby choisit donc de rassembler les constellations visibles, en les associant à des nostalgies humaines dans ses tableaux-métaphores. Mais le trompe-l’œil de Lilian Euzéby ne serait-il pas aussi un horoscope où chacun pourrait lire le reflet de sa destinée, en suivant pas-à-pas les prédictions données par chaque cadre, à l’image de signes du zodiaque ? On pressent qu’il y a une histoire d’amour quasi-existentielle en filigrane de chaque œuvre. Comme jadis Ptolémée et tant d’autres savants offrir un nom aux constellations, en vertu de leurs formes et de leurs apparences, Lilian Euzéby donne des prénoms à cette tragédie.

Lilian Euzéby, l'artiste et son oeuvre

Lilian Euzéby, l’artiste et son oeuvre ©Lilian Euzéby

Ici, nul besoin de boussole, de lunette, et de compas, il suffit de regarder, de déambuler et de déchiffrer au fur et à mesure cette mappemonde unique, comme on contemplerait un paysage qui se meut à l’infini tout en restant le même. Dans ce voyage de haut en bas, de gauche à droite, ou de bas en haut, de droite à gauche il faut suivre le fil d’une Ariane qui serait tantôt balancée par la force d’attraction vers la terre, tantôt attirée par la force d’apesanteur vers le ciel. C’est à la condition de s’abandonner à la toute-puissance de l’imaginaire que nous pouvons vagabonder dans cette promenade stellaire.

Nous avons affaire à un inventaire logique et énigmatique, rangé et dérangé. On trace son chemin en suivant son propre labyrinthe, à sa guise et à sa fantaisie, comme un voyageur surréaliste écoute son instinct, ou comme on lit une écriture en boustrophédon. À chaque spectateur de dessiner son parcours, en n’ayant pas peur de la Carte du Tendre que Lilian Euzéby a calqué avec poésie sur la voûte céleste. Quand le cœur est las de la terre, il a l’ultime consolation du ciel pour échappatoire.

Entre ciel et terre

 Paysage lunaire : « Mon amour, petit SCORPION, au-dessus du lac tu danses avec la lune »

–  LACERTA, lézard brillant

–  Une vieille photo en noir et blanc piquetée de cuir par la MOUCHE

–  Le SCULPTEUR a sa constellation

–  Nage le poisson d’or EL DORADO : «  C’est en haut de toi que je veux grimper »

–  La REINE et ses amies, gravure sentimentale

–  Un paysage nocturne dédié à la LYRE et à l’EUZEBY (sourire)

–  Des initiales L.P.S.

–  Une jeune fille apparaît, oiseau de paradis à l’hôtel Mirador de l’APUS

–  Une autre ferme les yeux comme dans un magazine, sur la table encore et encore

–  La CHEVELURE DE BÉRÉNICE danse sous une coulure d’encre

–  « Drôle de nuit » : dans un cadre en velours rouge TUCANA ouvre son oculus bleu

–   ANDROMÈDE s’évanouit au coin d’une nébuleuse

–   Un cadre ancien abrite l’ovale moderne de l’OCTANS

–  BOOTES, constellation du bouvier comme un tag céleste

–  LI (lian) CORNE ! « Je suis remplie de toi »…le long d’un chemin nocturne déchiré

–  La VIERGE est une photo de travers entourée de carmin

–  Le TAURUS tourbillonne dans un maelstrom bleu de papier peint

–  Un autre tourbillon gris serpente dans les nuages

–  PISCIS AUSTRINUS, poisson austral et tache d’encre sur fond blanc

–  Le petit CHEVAL jaune se révolte

–  Le BURIN, galet fléché. « Rien ne peut t’arriver tant que je t’aime mon amour »

–  RETICULUM vibre de losanges griffés

– CASSIOPÉE fait la rebelle. « C’est moi qui t’ai choisi »

–  PERSÉE est amoureux comme un pantin du firmament

–  CORONA telle une plante-corail qui achève de se dessécher

–  La poupe a parlé sous les baobabs géants qui se détachent sur un ciel rose : PUPPIS, « je ferai tout ce que tu désires »

–  L’amour de VOLANS, poisson volant zébrant le ciel

– Voilà le CENTAURE comme craie sur un tableau. « Je veux te soigner, un baiser sur ton foie, j’embrasse ton cœur »

– Deux silhouettes marchent dans un buvard de comète. « Comme je pense à toi…et comme tu me manques…Et le temps, loin de soustraire l’amour que je te porte, l’élève chaque jour aux étoiles, Aimer quelle tragédie bordel ! »

–  La GRANDE OURSE de ses rêves, cercle brouillé se dissipe

–  Des larmes. CANCER. Un iris violet nous regarde

–   DELPHINUS, le dauphin est sans terre et sans mer dans ce papier couleur de marbre

–   FORNAX. Un billet de pensionnat enclos dans son cadre comme en un fourneau.

–  Le SEXTANT se fait coquillage

– Une femme est fixée par une force centrifuge sur une gravure : Carina te regarde en la constellation de la CARENE. O CANOPUS !

–  La gravure frivole est faite au COMPAS flou. Amour est tombé de son char.

–  La constellation du PEINTRE, photo de classe nostalgique

–  Le PETIT LION est une larme dans un œil embrumé. Repose en paix !

–  CANIS MINORIS, les planètes tournent

–  Une étrange palette d’ardoise se fait ciel en pépites d’étoiles

–  Le dos d’une femme comme un CAPRICORNE polaroïd

– Nous tombons dans l’œil d’un cyclone bleu aux éclaboussures de piscine « Portées par le courant de ton fleuve »

– Le CHAMAELEON se noie dans une brume mauve hortensia. C’est l’heure du grand remplacement.

Le TRIANGLE AUSTRAL se cherche une place de fer forgé entre règle et compas

–  Un morceau de nuit, impression de plexiglas grec

–  CORVUS, adieu corbeau maléfique

–  SAGITA, flèche d’amour en plein dans le mille du cœur

–  Quelqu’un a fusillé le LIÈVRE de bois du Palais Royal. Pardi !

– L’URSAE MINORIS est à l’abri dans son boudoir de brocard. « Je dépose des baisers sur ton front…plein ! »

–  Décor ovale de plafond gothique, « la beauté devant moi… »

–  ALTAïR « est là aussi ». Écu de Sobiesky dans les Pyrénées aussi.

– Une côte en Grèce ou en Afrique, une bordure de papier, ou la constellation que l’on veut

– Idole des cieux, le CYGNE bleuit ce soir

– Un détail façon Basquiat sur bois

– Invisible LYNX sur une lagune ancienne, quelques silhouettes shakespeariennes

– Une grande réminiscence d’Anselm Kiefer

– Une aile de papillon du genre Morpho agrandie, et la CORONA AUSTRALIS sur le petit enfer céleste.

–  SAGITARIUS, pochade d’ouroboros grenat

–   À qui appartiennent les empreintes laissées sur l’autel d’ARA ?

–  Quel chagrin bordel ! Le fenestron d’un cachot entre ombres et lumières

–  CETUS, comme une planète paresseuse, comme un baiser furtif compromis

–  La trace d’un pot de peinture outremer, RIEN sauf « le jus du chaos »

–  HORLOGE en cadre kitsch et sucré

–   Hop je t’aime, girafe à l’aube du CAMELOPARDALIS !

 –  Melancolia du LEO, vaillant lion mélancolique

– Des navires chavirent, PHOENIX, citadelle inaccessible

– CRATER, « je te serre le 3 décembre »

–  MICROSCOPIUM ou le bout de la lunette de Galilée

–  « Claquement de ses sabots, bruit de tonnerre…EQUUS

–  L’HYDRE mâle se tord de douleur

– Dans quelle éclipse de tissu broché va la nef des Argonautes ? VELA ARGO NAVIS FUGA MUNDI ARABUM

–  GRUE, sur une boîte rouge aplatie « je vois tes longues jambes qui dansent »

–  « Je suis triste. Je t’aime » dit ERAKLES

–  DRAGO, « mon amour », chemin de lumignons sur le tarmac de la nuit

–  CANES VENATICI, les petits chiens de chasse courent dans les étoiles

– La machine pneumatique s’est brisée, particule élémentaire sur un diagramme fantôme

–   CRUX, c’est la croix aux mains salvatrice

–  ARIES sort de son cadre : « j’explose en vol, je meurs aux cieux »

–  Une impression bleue et noire

–  Le GRAND CHIEN, « le pauvre con oui ! » (!!!) ou le mauvais point d’un écolier

–  Cotillons et confettis de l’HYDRE

–  Un carreau en faïence d’étoiles

–  AQUILA, l’aigle des fresques

–  Le RENARD se recroqueville comme un papier cadeau

–   Soufreuse-Poudreuse, la COLUMBA se plaît dans le bois

– CEPHEUS pose ses mains sur l’azur

Les Nostalgies de l'Étoile, une installation exposée à la Maison Euzéby (été 2014)

Les Nostalgies de l’Étoile, une installation exposée à la Maison Euzéby, été 2014

Retour à la terre

Dans une époque qui regarde son nombril, Les nostalgies de l’Étoile de Lilian Euzéby invitent avec audace à regarder vers le ciel, ou plutôt vers les cieux, car cette œuvre parle d’un firmament multiplié par autant de regards qu’il y a d’astres. Devant cette réflexion artistique monumentale, on songe inconsciemment à la scène du Verbe chuchotant à l’oreille d’Abraham sa promesse de descendance : « Lève les yeux au ciel et dénombre les étoiles si tu peux les dénombrer » et il lui dit : « Telle sera ta postérité » (Genèse 15 : 5). Finalement, peu importe de dénombrer les étoiles, l’essentiel est de les admirer et de leur faire confiance. Souhaitons à cette œuvre une postérité digne de ce nom !

©Gabrielle de Lassus Saint-Geniès, été 2014

La gestation des Nostalgies de l'Étoile

Gestation des Nostalgies de l’Étoile ©Lilian Euzéby

* Les nostalgies de l’Étoile. Une œuvre de Lilian Euzéby, textes de Gabrielle de Lassus Saint- Geniès et de Laetitia Albernhe. Conception graphique d’Hélène Emptaz et photographies de Bruce Paoli. Avec la participation de Laura Hugo Westerhout. 80 pages, 2014.