Le folklore de l’Hellébore (étude symbolico-botanique)

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fig.1 Planche botanique de l’Hellébore (Helleborus Niger)

« Il était bien rare que Sido n’eût pas trouvé dans le jardin, vivaces épanouies sous la neige, les fleurs de l’ellébore que nous appelons rose de Noël. En bouquet au centre de la table, leurs boutons clos, ovales, violentés par la chaleur du beau feu, s’ouvraient avec une saccade mécanique qui étonnait les chats et que je guettais comme eux. » 

Colette, De ma fenêtre, 1942.

Mystérieuse et étrange plante que l’hellébore (fig.1) qui s’écrit tantôt avec un « h », tantôt sans, qui est tantôt masculine, tantôt féminine. Plante de bonheur et malheur de plante ! Le genre féminin sera préféré dans cet article qui se penche sur son histoire  et  l’orthographe la plus moderne sera adoptée bien que Colette, comme Jean de La Fontaine, parlent tous deux de l’ « Ellébore ». En effet, qui ne se souvient pas des vers issus du Lièvre et de la Tortue du célèbre fabuliste ?

 Rien ne sert de courir ; il faut partir à point.

Le Lièvre et la Tortue en sont un témoignage.

Gageons, dit celle-ci, que vous n’atteindrez point

Sitôt que moi ce but. Sitôt ? Etes-vous sage ?

Repartit l’animal léger.

Ma commère, il vous faut purger

Avec quatre grains d’ellébore.
-
Sage ou non, je parie encore. (… ) 

Histoire botanique et culture de l’hellébore

le lievre et la tortue

fig.2 « Ma commère, il vous faut purger
 avec quatre grains d’ellébore
 » extrait du Lièvre et la Tortue, fable de Jean de La Fontaine

Il faut savoir que la famille des hellébores (Helleborus) est composée de  soeurs variées. Elle se caractérise par un nombre incalculable d’espèces en se regroupant au sein d’une autre famille plus vaste encore: les Renonculacées (Ranunculaceae). Plante décorative et ornementale qui décline un éventail de verts séduisants, ce sous-arbrisseau fut introduit par les Romains en Europe. On la trouve ensuite dans la flore médiévale, notamment à travers la plus célèbre d’entre elles, la fameuse Rose de Noël qui a la réputation de vivre plus d’un siècle et d’accepter les coins des jardins les plus défavorisés. Rustique, c’est une des rares fleurs qui aime l’ombre, ou plutôt la mi-ombre, car elle apprécie tout de même le soleil. Plante de bordure au magnifique feuillage lancéolé généralement persistant, on la distingue avec ses inflorescences d’environ 30-35 cm de hauteur. Mais chaque espèce a ses particularités.

L’idéal est de planter des hellébores entre septembre et mars (mais surtout à l’automne) dans un sol consistant, bien drainé enrichi de matière organique (compost, terreau). Le hellébores aiment le calcaire, aussi ne faut-il pas hésiter à mettre des coquilles d’huîtres broyées et de l’humus aux pieds de ces gourmandes. Il est conseillé d’acheter les plants en godets portant déjà une fleur dans des pépinières spécialisées et surtout d’éviter la culture en pot qui les laisserait naines. Vite au jardin ! On peut aussi les multiplier par semis ou en effectuant une division des touffes âgées après la floraison, au mois de septembre. La distance moyenne de plantation est de 50-60 cm entre chaque plant, mais l’hellébore accepte la concurrence des autres racines. Une hellébore solitaire paraît toujours un peu triste dans son coin de jardin : mieux vaut éviter de la planter seule car elle aime la compagnie de ses sœurs. Pourquoi donc l’en priver ? On peut couper le vieux feuillage en avril ou en mai, juste après la floraison.

Cette coquette rustique demandera à demeurer les pieds dans une terre humide, aussi faudra-t-il l’abreuver en cas de forte chaleur, et pailler le sol avec de l’écorce à partir du mois de mai pour garder ses jambes au frais. Elle peut éventuellement attirer certains pucerons qui demanderont à être éloignés. J.P.Collaert conseille de conserver une tige et de la laisser grainer après la floraison: « Épargnez une hampe de fruits en formation pour favoriser les semis spontanés, qui réservent de bonnes surprises, mais fleurissent seulement au bout de deux ou trois ans. L’hellébore fétide est le champion du genre (1). »

Choisir un pépiniériste compétent

Certaines pépinières proposent des collections fascinantes d’hellébores, notamment celle de Martine et Francis Lemonnier qui sont les spécialistes du genre en détenant la plus grande collection européenne d’hellébores dans les Jardins de Bellevue. Christian Geoffroy et Nadine Albouy sont aussi des références en la matière à la pépinière Saint-Jouin-de-Blavou. Les Jardins du Morvan proposent ponctuellement de découvrir des variétés intéressantes d’hellébores mais cela dépend du choix du très compétent Thierry Denis dont les catalogues varient avec bonheur.

Propriétés 


Du grec heleïn: « faire mourir » et bora : « nourriture/ fourrage/aliment », c’est-à-dire plante vénéneuse, l’hellébore est une plante mellifère mais toxique
. Les abeilles ne s’en approchent pas sans danger. Ingérée, elle est susceptible de donner des convulsions et des troubles cardiaques. Un simple contact avec la racine, les fleurs ou les feuilles peut provoquer des plaques douloureuses. Elle a longtemps été employée comme vermifuge dans la médecine vétérinaire et militaire, mais elle est surtout un purgatif violent dont la graine noire aurait aussi la réputation de soigner la folie (elleboros signifie « plante utilisée contre la démence »). Pourquoi le lièvre de La Fontaine conseille à la tortue de se purger avec quatre grains d’hellébore (fig.2)? Par ironie moqueuse bien sûr mais aussi en jouant sur les mots : il était autrefois conseillé de se purger avec une dose de deux graines d’hellébores. En multipliant le chiffre, la tortue peut prétendre se purger tout en soignant sa folie. Érasme, dans son Éloge de la Folie fait une satire contre les mauvais orateurs en leur conseillant de prendre un grain d’hellébore au lieu de crier en forçant sur la voix haute qui rend leurs discours inaudibles : « Ils commencent de façon à ne pas s’entendre eux-mêmes, excellente méthode pour n’être compris de personne. On leur a dit que, pour remuer les passions, il fallait élever le ton ; pour obéir au précepte, au moment où on s’y attend le moins, ils passent tout à coup à des éclats furieux. Ce serait bien le cas de leur offrir un grain d’hellébore ; mais crier pour les arrêter, ce serait peine perdue (1bis). » L’hellébore « tient en état de veille » selon Rabelais, qui se moque ironiquement de la médecine de son temps. En homéopathie, il existe une teinture préparée avec le rhizome de l’hellébore qui soigne les troubles nerveux. Comme le rappelle A. Foucaud, Dioscoride attribue à Mélampode la découverte des vertus étranges de l’hellébore: « Ayant remarqué que le lait de ses chèvres devenaient purgatif quand elles avaient brouté de l’hellébore, Mélampe sut en faire boire aux trois filles de Proetus, roi d’Argos : Lysipe, Iphinoë et Iphianassa devenues folles par suite de la colère de Bacchus. Ces Proetides qui, nous conte Virgile dans la sixième Bucolique, se croyaient changées en génisses et couraient à travers champs en poussant des beuglements, auraient été ainsi délivrées de leur démence(2). »

Ne pas confondre Vérâtre Blanc et hellébore

Vérâtre ou Véraire blanc (Veratrum album) Famille des Liliacées

fig.3 Vérâtre ou Véraire blanc (Veratrum album)
Famille des Liliacées

Aulus Cornelius Celsus, contemporain de Dioscoride, dans De Re Medica, propose de combattre les hallucinations morbides avec de l’hellébore noire (Rose de Noël, famille des Renonculacées) et les hallucinations joyeuses avec de l’hellébore blanche, (Veratrum album, famille des Liliacées, fig.3). ll est dit communément que l’hellébore contient un narcotique qui entre dans composition de la poudre à éternuer mais il s’agit en fait du vérâtre ou Véraire blanc (Veratrum album) appelé improprement hellébore blanc, qui est de la famille des Liliacées. Il contient des alcaloïdes proto-vératrine et germarine, qui provoquent l’irritation des nerfs dans l’épiderme. Il suffit d’1/50 000 g dans le nez pour engendrer des éternuements ! Les alcaloïdes du Véraire blanc sont de violents narcotiques qui entraient dans la fabrication de certaines flèches empoisonnées de l’Antiquité. Le vérâtre en poudre (ou « cévadille/sébadille ») issu d’une hellébore d’Amérique Centrale (Veratrum Sabadilla/Schoenocaulon officinale) est intégré dans la composition d’une pommade destinée à soigner les eczémas de Napoléon Ier. On en faisait la célèbre « poudre de capucin (ou des Capucins) » pour traiter les parasitoses, gales et teignes (3), que l’on trouve dans les collections de pots d’apothicaires.

Religion, magie et médecine ne sont jamais loin quand il s’agit de l’hellébore: on la plante au seuil des maisons pour conjurer le mauvais sort, éloigner les sorcières et la folie. Quand Saint Martin, contraint de s’exiler, se retire dans l’île de Gallinara, Sulpice Sévère prétend qu’il prit un jour de l’hellébore « plante vénéneuse, mais sentant la violence du poison l’attaquer et la mort déjà prochaine, il repoussa par la menace ce péril (4) ». Contre les morsures des vipères, les bergers de Haute-Provence choisissent l’hellébore  « à neuf feuilles ». C’est aussi la fleur des empoisonneuses, et celle des alchimistes. Incantations, formules magiques ou prières entourent encore aujourd’hui de mystère cette plante aux vertus tantôt bénéfiques tantôt maléfiques. Dans le langage des fleurs, offrir une hellébore blanche peut signifier l’espérance d’une réponse favorable à une demande en mariage ; l’hellébore noire crie : « mettez fin à mes tourments ». C’est aussi un symbole de « bel esprit ». Dans le calendrier républicain, le 11e jour du mois de pluviôse (20-21 janvier au 18-19 février) était dédié à l’hellébore.

William Dobson (1817-1898) Roses de Noël, (Christmas Roses) 1881, peinture de

fig.4 William Dobson (1817-1898) Roses de Noël (Christmas Roses) 1881, aquarelle et crayon, collection particulière ©Artnet

Quelques hellébores

Évoquons quelques espèces les plus connues des princesses hellébores :

Helleborus Niger blanche, dite « Rose de Noël »

Incontestablement, l’hellébore la plus célèbre et la plus poétique, qui fleurit rarement à Noël mais plutôt entre le mois de janvier et d’avril. Elle déploie en hiver ses grandes fleurs blanches en coupes inclinées qui se teintent au fur et à mesure du temps d’un rose ancien au charme romanesque, pouvant aller jusqu’au pourpre. Sa tige florale tigrée de rouge est superbe. On l’appelle Niger, car ses racines sont noires. Présente en Europe et plus spécialement en Suisse, en Italie, en Yougoslavie et en Allemagne, elle fait environ 30 cm de hauteur en déployant un feuillage palmé extrêmement décoratif, avec ses folioles lancéolés à rebords dentelés. Gertrud Jekyll l’associe volontiers dans ses mixed-borders avec les Eranthis hyemalis et des fougères en arrière-plan. Notons que c’est une espèce protégée qui réclame que l’on prenne soin d’elle et que l’on évite les cueillettes intempestives. Fleur associée à la fête de Noël, on la trouve souvent dans les illustrations et allégories de la saison hivernale comme le fait William Dobson dans Roses de Noël (fig.4).

Helleborus foetidus, dite l’Hellébore fétide/puante ou épied de griffonné, « Rose-de-serpent », « Patte d’ours », « Mors-cheval ».

Plante vivace de 30 à 60 cm, persistant en hiver, sa mauvaise odeur n’est pas une raison de l’éloigner du jardin ! Elle fleurit de janvier à mai en épanouissant en grappes ses clochettes d’un jaune ou vert de Chypre-rougeâtre. On distingue son beau feuillage coriace à folioles étroits (7 à 11) déployant des segments lancéolés et vernissés. Margery Fish (1892-1969) souligne que le feuillage des hellébores brunit en hiver mais que l’hellébore fétide conserve le sien brillant (5). Il ne faut donc pas s’inquiéter si sa grande tige pend désespérément pendant la saison froide, car elle va se redresser avec vigueur au printemps. Très rustique, elle se naturalise facilement en essaimant ses graines dans le vent, pour coloniser les lisières et les sous-bois, non loin des fougères. Les serpents aimeraient, paraît-il s’y lover…d’où son surnom « Rose-de-Serpent ».

Helleborus argutifolius/corsicus,  dite l’Hellébore de Corse.

Présente en Sardaigne, dans les maquis corses, elle développe des buissons d’environ 80 cm de hauteur, avec des tiges de 75 cm et  des petites fleurs de 2,5 cm de diamètre couleur vert tilleul et chartreuse. Son large feuillage gris-vert foncé se caractérise par un bord denté et épineux. L’hellébore de Corse a une floraison de courte durée, entre janvier et juin mais elle se ressème facilement  et apprécie le bord des ruisseaux. Anita Pereire recommande de la marier avec des mahonias, des narcisses, et des lierres panachés d’or (6).

Helleborus Orientalis, dite « Rose de carême ».

C’est une plante qui s’hybride facilement, avec des hampes aux fleurs blanc-vert-rosâtres d’environ 60 cm de hauteur.

Helleborus Purpurascens

Cette espèce plus rustique que l’on trouve dans les pays de l’Est (Hongrie Tchécoslovaquie, Roumanie, Pologne ou Ukraine), déploie des fleurs au vert glauque et pourpre à partir de mars/avril.

Et les autres…

Walter Crane (1845-1915), La Rose de Noël (Christmas Rose) illustration pour Flora's Feast, A Masque of Flowers, 1889 ©Cassell & Company Limited

fig.5 Walter Crane (1845-1915), La Rose de Noël (Christmas Rose) illustration pour Flora’s Feast, A Masque of Flowers, 1889 ©Cassell & Company Limited

Dans son jardin saisonnier à Munstead Wood (Surrey), Gertrud Jekyll évoque le moment où les pivoines surgissent des feuilles des hellébores: « Début février, c’est la période de floraison des différentes hellébores de jardin : H.olympicus, H.orientalis, H.abchasicus et H. atrorubens. En général, leurs fleurs ont des tons rouges légèrement pourprés et possèdent quelques taches plus foncées. Il est difficile de fixer ces couleurs, car ces plantes ont tendances à se croiser entre elles. Ce qui est d’ailleurs charmant, lorsque des variétés à fleurs blanches se marient avec des pourpres, car cela donne des fleurs tachetées (7). »

Citons aussi parmi les nombreuses espèces : l’H.viridis, l’H.vesicarius, l’H. multifidus, l’H. cyclophyllus, l’H.lividus (que l’on trouve à Majorque avec un feuillage plus arrondi), l’H.atrorubens (feuillage caduque et aux fleurs pourpres/verdâtres). On peut trouver chez les pépiniéristes spécialisés des hellébores exotiques comme l’H. abchasicus (Caucase), l’H.thibetanus rapportée par le père David de Chine (Sichuan).

Longue vie à l’hellébore et à son folklore qui demande à être toujours plus connu, aimé, enseigné et dessiné comme le fit de manière si élégante l’illustrateur Walter Crane dans Flora’s Feast (fig.5).

© Gabrielle de Lassus Saint-Geniès, le 29 janvier 2014

(1)  J.-P. Collaert, Le Jardin comme on l’aime, Edisud, 2001, p.286.
(1bis)  Érasme, L’Éloge de la Folie, BNF, (1508) 1902, p.34.
(2)  A. Foucaud, Sur l’hellébore des anciens, Revue d’histoire de la pharmacie, 1960, vol.48, n°165, p.328-330, 328.
(3)  François Chast, Napoléon et la cévadille[Question CCXXV, Les médicaments utilisés par Napoléon Ier], Revue d’histoire de la pharmacie, 1999, vol.87, n°322, p.295.
(4)  Aline Rousselle, Du sanctuaire au thaumaturge : la guérison en Gaule au IVe siècle, Annales, Economies, Sociétés, Civilisations, 1976, vol.31, n°6, pp.1085-1107, 1097.
(5)  Margery Fish, A Flower for everyday, Faber & Faber, (1965), 1981, p.172.
(6)  Anita Pereire, Fleurs & Jardins, Hachette (1988), 1992, p.169.
(7)  Gertrude, Jekyll Propos sur le jardin, (« A Gardener’s Testament », trad. franç. Pierrick Le Louarn), La Maison Rustique, (1932), 1993, p.117.