La Colombe de Bouddha, conte lyrique japonais de Reynaldo Hahn

Ce mercredi 15 janvier 2015 a eu lieu un évènement particulièrement émouvant, à savoir la première reprise de La Colombe de Bouddha, conte lyrique japonais en un acte du compositeur Reynaldo Hahn (1874-1947) sur un livret d’André Alexandre, qui n’avait pas été joué depuis 1939 ! La création avait eu lieu au Théâtre du Casino municipal de Cannes le 21 mars 1921, et la re-création a pris place à Paris au Temple du Luxembourg, avec un accompagnement au piano par le jeu consciencieux de Paul Montag.

La pièce a commencé sous les moulures bleues et blanches du Temple par une allocution de Philippe Blay, musicologue et conservateur en chef à la Bibliothèque Nationale de France, qui a situé le contexte de création de l’oeuvre au sein du parcours de Reynaldo Hahn que notre époque redécouvre avec bonheur, grâce notamment au travail inlassable d’Eva de Vengohechea. Saluons la Compagnie de l’Oiseleur (non subventionnée) créée par le baryton passionné et passionnant Jacques-François L’Oiseleur des Longchamps, qui se consacre depuis 2010 à proposer des programmes entièrement inédits et originaux, en auto production, grâce à un important fond de partitions rares glanées au fur et à mesure, et grâce à l’investissement généreux et bénévole d’artistes talentueux.

La Colombe de Bouddha reçut de nombreux éloges dans la presse au moment où Reynaldo Hahn présente cette pièce alors qu’il est âgé de 46 ans. La Figaro parle d’une « fine partition mélodique ». Aujourd’hui cette pièce lyrique très courte (35 min) est inconnue : c’est justement ce qui la rend intéressante. D’inspiration japonisante, elle raconte une histoire d’amour contrarié selon un scénario très simple.

La jeune geisha Jonquille a été élevée par le vieux jardinier Kobé devenu son tuteur après la mort de sa mère. Il est épris d’elle en secret mais le prêtre Osaki le dissuade de poursuivre cette chimère: « L’hiver ne peut pas s’unir au printemps ». Telle est la phrase qui résume ce drame très court mais poignant. Les récitatifs s’écoulent en mélodies classiques, où la fantaisie géniale de Reynaldo Hahn glisse des accents curieux, des glissando, des arpèges rêveuses et des surprises d’harmonies comme un thé d’Orient servi dans une porcelaine française. Le texte et l’argument sont volontairement naïfs afin de répondre à la pensée japonisante. La Colombe de Bouddha est finalement un haïku musical.

Mais qui donc est cette fameuse colombe ? La colombe de Bouddha se veut un symbole évoqué par le chant de Jonquille, celui de l’être qui va mourir d’amour et qui se transforme en oiseau quand l’amour s’éloigne de lui. C’est le cas du malheureux Kobé qui voit Jonquille partir quand le saltimbanque Yamato passe ébloui et tombe amoureux de la mousmé : « Pour moi c’est la détresse, la mort ». Le prêtre Osaki tente de le raisonner: « Quand l’oiseau s’en va du chêne touffu, l’arbre ne meurt pas ». Mais en vain. Kobé lui répond: « Tu ne conçois pas ma misère, toi qui n’a jamais aimé sur la terre. » la loi est inéluctable : Jonquille l’abandonne pour suivre le destin qui la lie désormais à Yamato.

Reynaldo Hahn signe ici une pièce que l’on ouvre et que l’on ferme comme un petit éventail ravissant, un bijou charmant et distrayant. On y parle d’amour, de fleurs, de larmes et de colombes. Les rimes du livret peuvent parfois prêter à sourire mais le jeu des interprètes nous rend les émotions familières : Mayuko Karasawa est parfaite dans son rôle de Jonquille, L’Oiseleur des Longchamps vibre en Kobé, Jérôme Varnier exprime avec gravité la voix sage du prêtre Osaki et Sébastien Romignon Ercolini habite son personnage Yamato en jouant avec humour le saltimbanque ravisseur malgré lui. Jonquille et lui s’envolent et ne reviendront pas. Le pauvre Kobé se transforme en colombe, sans qu’Osaka parvienne à le consoler: « Chasse de tes yeux son image, l’hiver ne pouvait s’unir au printemps ! »

Merci pour cette résurrection musicale !

G.L.S.G., le 15 janvier 2014