LIRE ET RELIRE Macbeth de William Shakespeare (1606)

Lady Macbeth somnambule par Johann Heinrich Füssli, vers 1784, Musée du Louvre

Lady Macbeth somnambule par Johann Heinrich Füssli, vers 1784, Musée du Louvre

Macbeth, ce nom seul fait frémir, trembler, comme si des traînées de sang l’enveloppaient dans un suaire de lettres. Shakespeare (1564-1616)  a su résumer dans cette pièce toute l’horreur de l’âme humaine dévorée par l’ambition, la jalousie,l’orgueil et enfin la haine, en montrant comment la gangrène du mal peut transformer le plus honnête homme en assassin. Il décrit l’universel en partant du personnel, hissant ses personnages au rang d’archétypes, comme un écrivain-médecin disséquant la manière tragique avec laquelle un homme décide de faire face à son destin, en rejetant délibérément sa conscience.

Destin et Fatalité

D’emblée l’atmosphère est irréelle avec une pièce qui s’ouvre sur le rassemblement des trois sorcières qui prédisent au général Macbeth victorieux qu’il sera roi d’Ecosse mais qu’il n’aura pas de descendanceau profit de son compagnon Banquo. Influencé par la prophétie, Macbeth assassine le roi Duncan avec la complicité de sa femme Lady Macbeth. C’est le début d’une inexorable chute dans les ténèbres du meurtre pour ce couple cruel : Banquo est tué, puis la femme et les enfants du noble Macduff qui a découvert les auteurs du crime. Naturel et surnaturel s’imbriquent dans une intrigue noire qui se passe presque toujours durant la nuit. La pièce est ponctuée de sinistres symboles : corbeaux, cris de morts, vent glacial, flambeaux et spectres, sous le regard d’Hécate la sombre déesse de la lune noire.Shakespeare présente des personnages qui sont à la fois les jouets du destin mais aussi responsables de leur existence, en les peignant avec une certaine pitié. Il décrit notamment le cas de conscience d’un Macbeth encore hésitant, poussé par la perversité de son épouse à commettre un acte qu’il réprouve en lui-même. Le mépris de Lady Macbeth reflète l’âme prête à toutes les audaces pour en arriver à ses fins,qu’elles soient bonnes ou mauvaises car une chose est de convoiter, une autre est d’agir en faveur de ce que l’on convoite :

« Dorénavant
C’est ainsi que je juge de ton amour ! As-tu donc peur
D’être le même, en action, en courage,
Que tu es en désir ? Peux-tu, au même instant,
Vouloir ce que tu tiens pour l’or de la vie
Et vivre comme un lâche, qui se sait tel,
Laissant « Je n’ose pas » suivre « Je voudrais bien »
Comme le minable chat du proverbe. »

Dès lors, Macbeth adopte la tromperie et affirme sa volonté de duper la cour :

« Me voici résolu ! Et je rassemble
Toutes mes énergies pour ce terrible exploit.
Allons, dupons-les tous de notre air affable !
Trompeur
Doit être le visage quand l’est le cœur. »

Les nuits du mal et de la culpabilité

Ce cœur trompeur finit par être trompé par lui-même.L’engrenage du mal est une spirale qui se nourrit de sa propre chair tel un ouroboros comme le ressent alors Macbeth : « Ce qui commence par le mal ne prospère que par le mal ». La vanité d’un pouvoir si mal acquis perturbe les deux époux incapables de savourer leur victoire. Shakespeare analyse parfaitement le mélange de honte et de remord qui assaille les criminels :

« On a tout dépensé en pure perte
Quand on a eu ce que l’on désire, mais sans bonheur.
Et mieux vaut être ce  que l’on a détruit
Que de n’en retirer que cette joie qui s’angoisse.»
(Lady Macbeth)

« Serais-je mort il y a moins d’une heure,
Ma vie aurait été bénie. Dorénavant,
Rien n’a de prix dans cette existence mortelle,
Tout n’y est que mirage. L’honneur, la gloire
Sont morts. Le vin de la vie est tiré.
Ce n’est que d’une lie que peut se vanter cette cave. 
» (Macbeth)

Le poison de la culpabilité circule dans leurs veines, tandis qu’ils se mettent à être en proie à des visions, des crises de paranoïa et de somnambulisme. Devenue pathologiquement maniaque Lady Macbeth se lave les mains en vain (« Encore cette odeur de sang !Tous les parfums de l’Arabie ne purifieront pas cette petite main.»). Le symbole des mains tachées de sang à tout jamais brûle aussi le nouveau roi d’Ecosse :

« Ces mains ? Ah, elles m’arrachent les yeux !
Tout l’océan du grand Neptune pourra-t-il
Les laver de ce sang ? Non, c’est elles plutôt
Qui, empourprant les innombrables mers,
Feront avec l’eau verte du rouge, rien que du rouge ! »
 (Macbeth)

En pactisant avec le mal, Macbeth se prive de la bénédiction divine. Il ne peut plus prier :

« Mais, pourquoi n’ai-je pu prononcer : « Amen ! »
J’avais si grand besoin de bénédiction,
Et cependant « Amen » m’est resté dans la gorge. »

Suit alors l’admirable scène de somnambulisme de la reine (Acte V, scène 1), comme l’a si étrangement représenté Füssli (Musée du Louvre). Cet épisode met en scène le médecin, Lady Macbeth et une dame de compagnie. Tous les deux assistent au délire de la reine endormie qui se lève et marche avec un flambeau en révélant son secret. Shakespeare se fait psychanalyste avant l’heure enenvisageant le phénomène du rêve, du sommeil et du somnambulisme comme un moyende résilience pour l’esprit :

 « C’est à leur oreiller, puisqu’il est sourd, que confient leurs secrets les âmes malades ». On sait combien Shakespeare devait être fasciné par le sommeil, la nuit et la symbolique des rêves. Il avait dû lui même probablement connaître des crises d’insomnie pour mettre cette phrase si juste dans la bouche de Malcolm l’un des fils de Duncan : « Car trop longue est la nuit qui cherche en vain le jour ». Un grand nombre de pièces abordent ces thèmes comme l’allusion à la reine Mab et la nuit d’amour dans Roméo et Juliette,les fééries nocturnes du Songe d’Une Nuit d’Eté, le monologue d’Hamlet avec son crâne, etc. Dans Macbeth, les thèmes du conscient, de l’inconscient et de la conscience offrent une véritable étude propice aux interprétations les plus freudiennes. Toutefois, la phrase du médecin résume le tragique de la condition humaine en avouant les limites de la médecine : quand plus rien ne peut sauver l’homme, seule la Main de Dieu peut agir avec force. Ce qui semble impardonnable à l’homme est pardonnable pour Dieu : « Plus que d’un médecin celle-ci a besoin d’un prêtre. Ah que Dieu nous pardonne à tous ! » Le prêtre peut pardonner au nom de Dieu, ce qu’aucun médecin n’a le pouvoir defaire. Mais ici ce sont les sorcières et non les anges qui inspirent les âmes,c’est la sombre Hécate et ses malédictions qui gouvernent les pulsions des consciences. Lady Macbeth finit par se suicider après avoir cherché en vain à dénier son crime et à faire taire sa conscience. Macbeth est tué par l’épée.

Macbeth est une pièce de maturité de l’auteur prolifique, qui médite aussi sur le bon et le mauvais gouvernement en parlant en homme d’expérience. Finalement, le vrai prince est celui qui se croit indigne du pouvoir, celui qui ne s’en empare pas par la force, à l’image de Malcolm qui décrit les vertus du bon gouverneur : « justice, loyauté, modération, équilibre, bonté, persévérance, miséricorde, humilité, dévouement, patience, bravoure, force d’âme ». Macbeth a refusé de les choisir au profit d’une vision absurde de l’existence placée sous le signe d’une  lune sanglante au détriment d’un soleil pur qu’il regrette. Ceci explique l’archi-célébrité de ses vers :

« Hélas, demain, demain, demain, demain
Se faufile à pas de souris de jour en jour
Jusqu’aux derniers échos de la mémoire,
Et tous nos « hiers » n’ont fait qu’éclairer les fous
Sur le chemin de l’ultime poussière.
Eclaire-toi, brève lampe !
La vie n’est qu’une ombre qui passe, un pauvre acteur
Qui s’agite et parade une heure, sur la scène,
Puis on ne l’entend plus. C’est un récit
Plein de bruit, de fureur, qu’un idiot raconte
Et qui n’a pas de sens. »

À force de réfuter la logique de la conscience, cette dernière se venge toujours en laissant l’esprit seul et hagard comme un fou sur l’échiquier d’un monde devenu irrationnel et où tous les crimes sont possibles. C’est peut-être la vertu cathartique du théâtre de Shakespeare que de montrer en 130 pages que si l’homme a de grands désirs, la fin ne justifie jamais les moyens.

Copyright G.L.S.G. le 26 juin 2013