Le Bouillon-blanc, chandelier du jardin

Bouillon-blanc, planche botanique

fig.1 Planche botanique représentant un Bouillon-blanc

Celui qui se promène dans les vieux jardins trouvera toujours dans les carrés de simples des plants de Bouillon-blanc commun (Verbascum thapsus), appelé aussi Molène, Oreille de loup, Bonhomme ou Herbe de Saint Fiacre. Les espèces du genre Verbascum s’hybrident facilement et les molènes ont généralement les mêmes propriétés [1]. Le genre compte environ 360 espèces dont le Faux Bouillon-blanc (Verbascum densiflorum), le Verbascum phlomoides, le Verbascum sinuatum. Plante ancienne qui dresse ses grandes hampes tomenteuses aux fleurs feutrées de jaune, le Bouillon-blanc fait partie de la famille des Scrophulariacées (fig.1). En digne bisanuelle qui se respecte, il faut deux ans aux graines semées pour germer. L’idéal est de les semer au printemps dans une terre meuble et sans ombre et de mettre les jeunes plants en place en été, dans un espace assez large pour laisser les rosettes développer leur feuilles.

Bouillon-blanc

fig.2 Le Bouillon-blanc, « Grand Chandelier » ou « Cierge de Notre-Dame » ©GLSG

La floraison a lieu l’année suivante…et non pas n’importe quelle floraison ! Le Bouillon-blanc peut atteindre 1,80 mètre ! Il étend ses larges feuilles alternes duveteuses en prenant de la place, tout en dressant ses épis terminaux comme de grands bâtons qui fleurissent progressivement en grappes serrées pour attirer les insectes et profiter du soleil, de juin à septembre. On comprend aisément son surnom de « Cierge de Notre-Dame » ou de « Grand Chandelier » et la tradition qui prétend qu’on en faisait des bougies en trempant ses tiges dans la graisse ou la poix (fig.2). Il peut devenir envahissant et est souvent considéré, à ce titre, comme une mauvaise herbe que l’on trouve dans les lisières, au bord des chemins. Le Bouillon-blanc fait partie des espèces envoyées en Amérique par l’Europe pour fournir des plantes aux jardins américains, avec les pissenlits, les grandes marguerites, la saponaire, la salicaire, l’oseille [2]. Il figure souvent dans les rocailles et dans les plates-bandes aux côtés des digitales, et apparaît ponctuellement dans les gravures botaniques où dans les photographies d’études de plante (par exemple la collection du photographe Eugène Atget, fig.7).

Symbolique

L’usage du Bouillon-blanc est très ancien. Il est prescrit par Hippocrate, Dioscoride, Pline, Hildegarde de Bingen. Il est aussi fait mention du Bouillon-blanc dans les registres de la pharmacie de Worms. Dans le calendrier républicain, il symbolise le deuxième jour du mois de Thermidor. Il est difficile de savoir l’origine de son nom. On mentionne le terme latin barbascum (de barba, barbe) afin de souligner l’aspect hirsute de la plante… La légende prétend que le Bouillon-blanc est la plante employée par Ulysse pour se protéger des charmes de Circé mais la traduction du mot « Moly » employé par Homère est controversée (il s’agirait plus vraisemblement de l’ail) [3]

Le mystérieux Bouillon-blanc d’Altdorfer, détail d’un tableau biblique

Albrecht Altdorfer - Suzanne au bain - 1526 - 74x61cm - Alte Pinakothek - Münich - Panneau de tilleul

fig.3 Albrecht Altdorfer (1480-1583) Suzanne au bain, 1526, huile sur bois, 74×61 cm ©Alte Pinakothek-Munich

Alte Pinakothek - Münich -

détail du Bouillon-blanc dans le tableau de Suzanne au bain d’Altdorfer

On trouve le Bouillon-blanc dans certains tableaux comme celui d’Albrecht Altforfer (1488-1538), représentant Suzanne au bain (fig.3). Visible au premier plan droit du tableau final, il n’apparaît pas dans l’étude préparatoire (fig.4), ce qui laisse à supposer que le peintre l’a ajouté plus tard afin de donner plus de profondeur à l’oeuvre en l’utilisant comme premier plan repoussoir grâce à sa verticalité qui se fait l’écho des colonnes de l’architecture tarabiscotée de l’arrière-plan. Il s’agit de la vaste maison de Joakim, le riche époux de Suzanne qui avait un jardin près de sa maison « et les Juifs affluaient chez lui, parce qu’il était le plus honorable de tous » (Daniel, 13-4). Altdorfer renforce l’aspect d’hortus conclusus, le traditionnel jardin clos médiéval peuplé d’espèces botaniques variées dédiées à la Vierge, mais ici symbole de la pureté de la chaste Suzanne convoitée par les deux vieillards cachés dans l’ombre à gauche. La servante qui porte des lys avec le broc d’eau rappelle l’épisode biblique du livre de Daniel dans lequel la vertu d’une femme est attaquée et finit par triompher.

fig.4 Albrecht Altdorfer, Suzanne au bain, 1526, dessin à la plume, 33×27 cm ©Museum Kunstpalast – Sammlung der Kunstakademie – Düsseldorf

Même si Altdorfer en profite pour créer une scène de genre agréable pleine d’éléments anecdotiques, dédiée à la toilette d’une belle femme dans un jardin, il n’oublie pas de parer le tableau de symboles plus profonds. Ainsi, la servante qui porte les lys, semble devenir la garante de la réputation de Suzanne « fille d’Helcias, d’une grande beauté et craignant Dieu » (Daniel, 13, 2) qui va bientôt demander à ses compagnes de la laisser seule afin de pouvoir se baigner plus tranquillement. Les vieillards malhonnêtes sont prêts à surgir, mais nulle femme ne pourra la défendre ! Les lys s’éloignent de la scène, sous l’oeil du Bouillon-blanc, qui avait autrefois la réputation d’ éloigner les esprits malfaisants…Le peintre allemand l’a-t-il placé au pied de l’escalier (espace qui délimite la sphère publique et la sphère privée) par simple coïncidence ou dans une intention délibérée (symbole de Daniel qui se fera l’avocat de l’épouse accusée injustement)? Tout ceci  invite à relire l’histoire de Suzanne qui triomphera grâce à l’ignorance botanique des deux hommes lubriques. On se souvient que le premier répondra qu’elle a péché sous un lentisque, et le second sous un chêne. Confondus, ils sont mis à mort.

Vertus médicinales

 Le bouillon blanc Dessinateur : Courtois Technique : Gravure - Bois, (Copyright BIU Santé Médecine)

fig.5 Le Bouillon-blanc, Courtois, gravure sur bois ©BIU Santé Médecine

Employé dans la pharmacie médiévale, il fait partie des sept espèces pectorales salutaires contre la toux (pied-de-chat, bouillon blanc, coquelicot, guimauve, tussilage, mauve et violette). Sa tisane aux vertus légèrement sédatives apaise et adoucit la gorge. Il traite les affections pulmonaires, l’asthme, enrouements, angines, grâce à ses propriétés anti-inflammatoires et adoucissantes (fig.5). Les cigarettes de Bouillon-blanc soulagent l’asthme et ont souvent remplacé le tabac. Plante herbacée comestible, le Bouillon-blanc est riche en glucose. Il a la réputation de sucrer naturellement les tisanes et décoctions, mais en réalité la décoction de Bouillon-blanc a plutôt le goût d’un bouillon d’artichaut et de champignon ! On utilise de préférence les fleurs fraîches et les feuilles juste avant la floraison (fig.6). Après les avoir fait séchées, on les conserve dans l’obscurité pour qu’elles gardent leur couleur et leur vertu. La décoction de fleurs éclaircirait les cheveux. En revanche, il est conseillé de bien filtrer les infusions de feuilles car elles sont très poilues et laineuses, ce qui peut irriter la bouche ! Les feuilles et la racine s’utilisent plutôt fraîches. Elles ont des propriétés antiseptiques et antibactériennes.

Bouillon-blanc, vue du dessus

fig.6 Fleurs de Bouillon-blanc, vue du dessus ©GLSG

Décoction de Bouillon-blanc

Mettre 30g de feuilles et de fleurs dans 1l d’eau bouillante. Laisser infuser 10 min. Egoutter avant d’en boire ou de l’utiliser en gargarisme.

Tisane des Sept Fleurs (contre la toux)

Mélanger les célèbres sept fleurs pectorales : pied-de-chat, bouillon-blanc, coquelicot, guimauve, tussilage, mauve et violette. Mettre 1 cuillère à soupe (20g) de ce mélange par tasse. Laisser infuser 10 min et filtrer. Boire 3 fois par jour. Favorise le sommeil.

Vin de Bouillon-blanc (recette d’Hildegarde de Bingen) 

Faire légèrement chauffer sans bouillir 30g de Bouillon-blanc et 30g de semences de fenouil dans 1l de vin blanc. Laisser refroidir. Ne filtrer qu’au moment de servir. Boire des petits verres de temps en temps. Pour améliorer la recette ajouter du miel. A utiliser contre les enrouements et toux.

Bouillon blanc, 1900, photographie, collection Eugène Atget (copyright Bibliothèque des Arts décoratifs)

fig.7 Bouillon-blanc, 1900, photographie, collection Eugène Atget ©Bibliothèque des Arts décoratifs

Usage externe

Plante riche en saponines et en mucilages, le Bouillon-blanc a des propriétés émollientes et adoucissantes. On l’utilise en compresse ou en pommade contre les brûlures, les engelures, les infections cutanées, les douleurs articulaires et musculaires, les rhumatisme et blessures. On en fait des bains de bouche contre les affections buccales douloureuse et on le boit contre les irritations de l’appareil digestif.

Cataplasme de Bouillon-blanc contre les douleurs articulaires

Mettre des feuilles fraîches dans un peu de lait à faire bouillir 5 minutes. Appliquer à l’endroit voulu.

Huile de massage au Bouillon-blanc

Mettre 30g de fleurs fraiches et 60ml d’huile olive dans une casserole. Faire macérer à feu doux, puis cuire jusqu’à résorption de l’humidité. Passer en exprimant à travers un linge fin. Mettre dans un flacon bien bouché.

Gabrielle de Lassus Saint-Geniès

[1] Lieutaghi Pierre, Le Livre des bonnes herbes, Actes Sud, (1966), 1996, p.122. Voir  aussi l’Essai sur les espèces du genre « Verbascum », croissant spontanément dans le centre de la France, et plus particulièrement sur leurs hybrides / par M. A. Franchet,…(1834-1900), impr. de P. Lachèse, Belleuvre et Dolbeau (Angers)1868

[2] Hobhouse Pénélope, L’Histoire des Plantes et des Jardins, 1994, Bordas, p.258.

[3] Dorie M.. Les plantes magiques de l’Odyssée. Lotos et moly. In: Revue d’histoire de la pharmacie, 55e année, N. 195, 1967. pp. 573-584.