Les Eblouissements d’Anna (Concert à l’Ambassade de Roumanie pour le lancement de l’Oeuvre Poétique Complète d’Anna de Noailles)

Philip Alexius de László, Portrait d’Anna de Noailles, 1913, huile sur carton ©Paris, musée d’Orsay

Dimanche 8 décembre 2013, l’Institut Culturel Roumain, l’Ambassade de Roumanie et le Cercle Anna de Noailles ont fêté la poétesse Anna de Noailles dont les éditions du Sandre viennent de publier l’Oeuvre Poétique Complète. Ce fut l’occasion d’assister à un fabuleux concert organisé par le baryton Jacques-François L’Oiseleur des Longchamps et présenté par Alexandre d’Oriano, président du Cercle,  grand admirateur et défenseur d’Anna.  L’atmosphère de la Salle Byzantine du Palais de Béhague répondait au lyrisme du thème. Cet extraordinaire théâtre inscrit à l’Inventaire Supplémentaire des Monuments Historiques, fait corps avec l’hôtel fastueux dans lequel réside l’Ambassade de Roumanie depuis 1939.

Discours de lancement de l’Oeuvre Poétique Complète d’Anna de Noailles, par Alexandre d’Oriano, président du Cercle. 

 » Chère Anna,

« Inutile mais irremplaçable », comme vous nous manquez ! Voilà quatre-vingt ans passés depuis votre disparition du 30 avril 1933, vos funérailles nationales à la Madeleine, les discours émus, votre voix éteinte…et voilà cinq ans à peine que, cédant à votre Appel, et à votre « ardeur par l’amour intimée, pour être, après la mort, parfois encore aimée », j’ai recréé le cercle Anna de Noailles en 2008, seul et avec tous.

D’autres, avant moi vous célébrèrent, et par quelles bouches, par quels esprits :  Henri de Régnier, Paul Valéry, Jean-Louis Vaudoyer, présidèrent la cohorte de vos admirateurs et amis. Colette, Cocteau (qui vous dédia même son dernier ouvrage en 1963 : La Comtesse de Noailles, Oui et Non ; sorte de compte rendu dans le siècle avancé), l’abbé Mugnier qui inonda son Journal de vos évocations, Charles Du Bos qui écrivit une oeuvre entière sur le « climat de votre génie », Fernand Gregh, Proust qui vous peignit en Duchesse de Réveillon dans Jean Santeuil et avec qui vous vous livriez  à d’interminables séances de « téléphonage » et de lettres alambiquées, Mauriac l’enthousiaste retenu, Edmond Rostand (qui fut paraît-il l’amant d’une nuit?), Francis Jammes, Rilke, Péguy, pour ne jeter là que quelques noms.

Un jardin sur les bords du lac Léman, à Amphion, votre « coeur végétal », fut réalisé en 1938 par Emilio Terry, sous l’inspiration de Colette.

Des récitals sans nombre furent donnés par Paderewski entre autres, l’archange roux que vous aimiez, bien qu’il préférât votre mère…

Ou évoquons encore ce Gala du 23 juin 1937, organisé par Vaudoyer, à la Comédie Française, où Valéry parla,  séduisit, envoûta, Germaine Lubin chanta, cajola, accompagnée par Enesco, Wanda Landowska joua Mozart et l’on finit par un ballet « En l’honneur du Poète » spécialement conçu par Lifar. Jour faste!

En 1953, une grande exposition à la Bibliothèque Nationale vous fut consacrée, mais en 1958, la mort de votre cousin Photiadès, qui se démenait si bien pour vous, mit en sommeil l’association. Il fallut qu’un petit freluquet de mon genre la réveilla cinquante ans plus tard…- Remarquez tous ces chiffres ronds, on les croirait faits pour la réclame -et pourtant tout est vrai ; après tout Paul Léautaud ne vous surnommait-il pas, avec une pointe d’envie sans doute, « Madame Réclamier » ?

Que de sentiers et de campagnes, que de provinces d’oubli, avons-nous parcouru depuis 2008 !

Souvenez-vous de l’inauguration en grande pompe à  l’hôtel Regina avec la princesse Eugénie de Brancovan, votre petite nièce, votre sang ; Pierre-Christian Taittinger, le maire de votre arrondissement (vous pour qui « le plus beau pays du monde était les marronniers en fleurs de l’avenue Henri Martin ») et Madame Mignot-Ogliastri, l’universitaire et précieuse spécialiste de votre oeuvre et de votre vie. Oui, vraiment, cette inauguration s’annonçait sous les meilleurs auspices…

En 2009, après avoir nourri un harcèlement fécond auprès de nombreux éditeurs, nous avions réussi à imprimer Les Innocentes, ou la sagesse des femmes, aux éditions Buchet-Chastel, – encore un signe : la collection a fermé juste après, c’était pour vous le dernier métro ma chère…

Une belle réception suivit à la Société des Gens de Lettres où je déplaçais illégalement votre buste, arraché au bureau du directeur tout en pensant à la phrase de Cocteau : « Anna, vous voulez être de votre vivant un buste, mais avec des jambes pour courir partout ! ».

Puis un concours de gravure aux Beaux-Arts, sur le thème de votre voyage italien, exposé ensuite à l’Ambassade d’Italie, avec un livre encore, puis deux, puis trois, presque un par année – plus ou moins bien suivis par la presse : Messieurs les journalistes haut les mains !

Tout ceci à l’image d’un piédestal peu à peu remonté, redoré, pour atteindre aujourd’hui à l’intense et étincelante publication des Oeuvres poétiques complètes. Il est vrai que nous avions invité Guillaume Zorgbib, le fondateur des éditions du Sandre, dès la réception inaugurale – il faut soigner ses chevaux de course ! Et votre lyrique victoire est remportée cette année ! Pour les quatre-vingt ans de votre mort, vous vous offrez une parcelle d’éternité dans la fourmillante activité des libraires de France.

A ce propos, vous qui aimez les lectures, je ne résiste pas à la tentation de vous citer un extrait de ce cher Balzac, provenant des Illusions perdues et résumant jusqu’à nos jours toute la frilosité des éditeurs et autres gens de lettres ; il y est question d’un fameux libraire de la Comédie Humaine : « Doriat se tourna vers Gabusson par un mouvement digne de Talma : – Gabusson, mon ami, à compter d’aujourd’hui, quiconque viendra ici pour me proposer des manuscrits, entendez-vous ça, vous autres ?, dit-il en s’adressant à trois commis qui sortirent de dessous les piles de livres à la voix colérique de leur patron, qui regardait ses ongles et sa main – qu’il avait belle. A quiconque m’apportera des manuscrits, vous demanderez si c’est des vers ou de la prose. En cas de vers, congédiez-le aussitôt. Les vers dévoreront la librairie ! »

Mais au milieu des Doriat contemporains, s’est cachée la perle bondissante des éditions du Sandre et c’est aujourd’hui le moment d’en ouvrir l’écrin…

Adieu chère Anna, adieu, et plein de bonnes choses à votre panthéon, je finis en citant vos propres paroles et votre ultime désir :

« (…) Qu’un jeune homme, alors, lisant ce que j’écris,
Sentant par moi son coeur ému, troublé, surpris, 
Ayant tout oublié des épouses réelles,
M’accueille dans son âme et me préfère à elles… »

Le Concert 

Le concert qui a suivi cette introduction lyrique a rendu vivants les vers de la poétesse grâce à la voix de satin de la soprano Andreea Soare, la voix de velours de la soprano Sabine Revault d’Allonnes, la voix de taffetas de la grande mezzo-soprano roumaine Viorica Cortez et la voix de soie de Jacques-François L’Oiseleur des Longchamps, accompagnés au piano par l’étincelante Axia Marinescu. Le programme se dévoilait en éblouissements successifs, en jouant sur la gamme des sentiments et des émotions d’Anna de Noailles. Après avoir assailli les compositeurs, habité les interprètes, sa poésie remporta l’enthousiasme des spectateurs. Une mention spéciale pour le si émouvant Jeunesse de Patrick de Laurière et pour le duo « J’ai tant rêvé par vous » créé par Patrick Loiseleur.

Jacques de La Presle (1888-1969)

Ardeur (à Camille Maurane)

Rire ou pleurer, mais que le coeur
Soit plein de parfums comme un vase,
Et contienne jusqu’à l’extase
La force vive ou la langueur.

Avoir la douleur ou la joie,
Pourvu que le coeur soit profond
Comme un arbre où des ailes font
Trembler le feuillage qui ploie ;

S’en aller pensant ou rêvant,
Mais que le coeur donne sa sève
Et que l’âme chante et se lève
Comme une vague dans le vent.

Que le coeur s’éclaire ou se voile,
Qu’il soit sombre ou vif tour à tour,
Mais que son ombre et que son jour
Aient le soleil ou les étoiles…

Il fera longtemps clair (à Camille Maurane)

Il fera longtemps clair ce soir, les jours allongent,
La rumeur du jour vif se disperse et s’enfuit,
Et les arbres, surpris de ne pas voir la nuit,
Demeurent éveillés dans le soir blanc, et songent…

Les marronniers, sur l’air plein d’or et de lourdeur,
Répandent leurs parfums et semblent les étendre ;
On n’ose pas marcher ni remuer l’air tendre
De peur de déranger le sommeil des odeurs.

De lointains roulements arrivent de la ville…
La poussière, qu’un peu de brise soulevait,
Quittant l’arbre mouvant et las qu’elle revêt,
Redescend doucement sur les chemins tranquilles.

Nous avons tous les jours l’habitude de voir
Cette route si simple et si souvent suivie,
Et pourtant quelque chose est changé dans la vie,
Nous n’aurons plus jamais notre âme de ce soir…

Emile Naoumoff (1962)

O lumineux matin (création)

Ô lumineux matin, jeunesse des journées,
Matin d’or, bourdonnant et vif comme un frelon,
Qui piques chaudement la nature, étonnée
De te revoir après un temps de nuit si long ;

Matin, fête de l’herbe et des bonnes rosées,
Rire du vent agile, oeil du jour curieux,
Qui regardes les fleurs, par la nuit reposées,
Dans les buissons luisants s’ouvrir comme des yeux ;

Heure de bel espoir qui s’ébat dans l’air vierge
Emmêlant les vapeurs, les souffles, les rayons,
Où les coteaux herbeux, d’où l’aube blanche émerge,
Sous les trèfles touffus font chanter leurs grillons ;

Belle heure, où tout mouillé d’avoir bu l’eau vivante,
Le frissonnant soleil que la mer a baigné
Éveille brusquement dans les branches mouvantes
Le piaillement joyeux des oiseaux matiniers,

Instant salubre et clair, ô fraîche renaissance,
Gai divertissement des guêpes sur le thym,
– Tu écartes la mort, les ombres, le silence,
L’orage, la fatigue et la peur, cher matin…

Joseph Béesau (1871-1940)

Le jardin et la maison (à mon ami Charles Massabiau)

Voici l’heure où le pré, les arbres et les fleurs
Dans l’air dolent et doux soupirent leurs odeurs.

Les baies du lierre obscur où l’ombre se recueille
Sentant venir le soir se couchent dans leurs feuilles,

Le jet d’eau du jardin, qui monte et redescend,
Fait dans le bassin clair son bruit rafraîchissant ;

La paisible maison respire au jour qui baisse
Les petits orangers fleurissant dans leurs caisses.

Le feuillage qui boit les vapeurs de l’étang
Lassé des feux du jour s’apaise et se détend.

– Peu à peu la maison entr’ouvre ses fenêtres
Où tout le soir vivant et parfumé pénètre,

Et comme elle, penché sur l’horizon, mon coeur
S’emplit d’ombre, de paix, de rêve et de fraîcheur…

Les plaintes d’Ariane ( à mon ami le marquis de Heere)

Le vent qui fait tomber les prunes,
Les coings verts,
Qui fait vaciller la lune,
Le vent qui mène la mer,

Le vent qui rompt et qui saccage,
Le vent froid,
Qu’il vienne et qu’il fasse rage
Sur mon coeur en désarroi!

Qu’il vienne comme dans les feuilles
Le vent clair
Sur mon coeur, et qu’il le cueille
Mon coeur et son suc amer.

Ah! qu’elle vienne la tempête
Bond par bond,
Qu’elle prenne dans ma tête
Ma douleur qui tourne en rond.

Ah! qu’elle vienne, et qu’elle emporte
Se sauvant,
Mon coeur lourd comme une porte
Qui s’ouvre et bat dans le vent.

Qu’elle l’emporte et qu’elle en jette
Les morceaux
Vers la lune, à l’arbre, aux bêtes,
Dans l’air, dans l’ombre, dans l’eau,

Pour que plus rien ne me revienne
A jamais,
De mon âme et de la sienne
Que j’aimais…

Louis Vierne (1870-1937)

Quatre poèmes grecs (pour Madeleine Richepin et Solange Jean-Renie)

– Offrande à Pan

Cette tasse de bois, noire comme un pépin,
Où j’ai su, d’une lame insinuante et dure
Sculpter habilement la feuille du raisin
Avec son pli, ses nœuds, sa vrille et sa frisure,

Je la consacre à Pan, en souvenir du jour
Où le berger Damis m’arrachant cette tasse
Après que j’y eus bu vint y boire à son tour
En riant de me voir rougir de son audace.

Ne sachant où trouver l’autel du dieu cornu,
Je laisse mon offrande au creux de cette roche,
– Mais maintenant mon cœur a le goût continu
D’un baiser plus profond, plus durable et plus proche…

– Offrande à Kypris

Clarté du temps! Kypris au sourire innombrable,
Je t’offre, afin qu’au bras du berger aujourd’hui
Je demeure joyeuse, ardente et désirable,
Ma lampe, confidente aimable de la nuit.

Vois, je t’apporte aussi ces herbes odorantes.
La sauge humide où boit l’abeille dans l’été,
Et le cerfeuil, plus frais aux mains que l’eau courante,
Mêleront leurs parfums d’onde et de crudité.

Mon sein est puéril mais mon coeur est farouche;
Damétas le sait bien à l’heure de l’accord,
Car la flûte est moins vive et chaude sur sa bouche
Que ne l’est mon baiser qui s’appuie et qui mord.

Le soleil de midi couché dans la luzerne
S’abat moins lourdement sur la plaine et les champs,
Que ne pèse l’amour sur les corps qu’il gouverne
De son désir jaloux et de ses jeux méchants.

La paix des jours légers et doux s’en est allée.
Ô Vénus Cypria, qui naquis de la mer,
Je t’offre, à toi qui prends plaisir aux eaux salées,
Les larmes de ma joue et de mon coeur amer.

– Le repos

Le plaisir mystique et païen,
L’amour, la beauté, le désir
Ont fait plus de mal que de bien
A mon âme qui s’en revient
Lasse d’aimer et de souffrir.

Allez, mon âme inassouvie,
Dormir dans l’ombre le grand somme,
Ayant rêvé, par triste envie,
La joie au delà de la vie,
Et l’amour au-dessus des hommes…

– Chanson pour avril

Toute la nuit la pluie légère
A glissé par jets et par bonds.
Viens respirer au bois profond
L’odeur de la verdure amère.

Ton coeur est triste, morne et las,
Comme la naissante journée.
Elle sera bientôt fanée,
L’amoureuse odeur des lilas.

Aujourd’hui l’âme apitoyée
Sent pleurer son vague tourment.
Viens écouter l’égouttement
Des feuilles mortes et mouillées.

Adolphe Borchard (1882-1967)

– Soir basque (à Madame Lilbun)

Le soir est un silence odorant, rose et clair,
L’astre s’incline.
Un bambou languissant et amoureux de l’air
Sur la colline

Des chevriers s’en vont près d’un torrent en fleur
Fin de journée!
Un puits luit ; Betharam s’endort dans la chaleur
Des Pyrénées.

De Lourdes aux belles eaux flotte un mystique appel
Sur la campagne ;
Mais tout le soir répond au soupir sensuel
Qui vient d’Espagne.

Max d’Ollonne (1875-1959)

Jeunesse (à Mademoiselle Lise Charny)

Pourtant tu t’en iras un jour de moi, Jeunesse,
Tu t’en iras, tenant l’Amour entre tes bras,
Je souffrirai, je pleurerai, tu t’en iras,
Jusqu’à ce que plus rien de toi ne m’apparaisse !

La bouche pleine d’ombre et les yeux pleins de cris,
Je te rappellerai d’une clameur si forte,
Que, pour ne plus m’entendre appeler de la sorte,
La Mort entre ses mains prendra mon cœur meurtri.

Pauvre Amour, triste et beau, serait-ce bien possible
Que vous ayant aimé d’un si profond souci
On pût encor marcher sur le chemin durci
Où l’ombre de nos pieds ne sera plus visible ?

Revoir sans vous l’éveil douloureux du printemps,
Les dimanches de mars, l’orgue de Barbarie,
La foule heureuse, l’air doré, le jour qui crie,
La musique d’ardeur qu’ Yseult dit à Tristan !

Sans vous, connaître encor le bruit sourd des voyages,
Le sifflement des trains, leur hâte et leur arrêt,
Comme au temps juvénile, abondant et secret
Où dans vos yeux clignés riaient des paysages.

Et quand l’automne roux effeuille les charmilles
Où s’asseyait le soir l’amante de Rousseau,
Être une vieille, avec sa laine et son fuseau,
Qui s’irrite et qui jette un sort aux jeunes filles…

– Ah ! Jeunesse, qu’un jour vous ne soyez plus là,
Vous, vos rêves, vos pleurs, vos rires et vos roses,
Les Plaisirs et l’Amour vous tenant, – quelle chose,
Pour ceux qui n’ont vraiment désiré que cela !

Patrick Loiseleur (1975)

J’ai tant rêvé par vous (création)

J’ai tant rêvé par vous, et d’un coeur si prodigue,
Qu’il m’a fallu vous vaincre ainsi qu’en un combat;
J’ai construit ma raison comme on fait une digue,
Pour que l’eau de la mer ne m’envahisse pas.

J’avais tant confondu votre aspect et le monde,
Les senteurs que l’espace échangeait avec vous,
Que, dans ma solitude éparse et vagabonde,
J’ai partout retrouvé vos mains et vos genoux.

Je vous voyais pareil à la neuve campagne,
Réticente et gonflée au mois de mars; pareil
Au lis, dans le sermon divin sur la montagne;
Pareil à ces soirs clairs qui tombent du soleil;

Pareil au groupe étroit de l’agneau et du pâtre,
Et vos yeux, où le temps flâne et semble en retard,
M’enveloppaient ainsi que ces vapeurs bleuâtres
Qui s’échappent des bois comme un plus long regard.

Si j’avais, chaque fois que la douleur s’exhale,
Ajouté quelque pierre à quelque monument,
Mon amour monterait comme une cathédrale
Compacte, transparente, où Dieu luit par moment.

Aussi, quand vous viendrez, je serai triste et sage,
Je me tairai, je veux, les yeux larges ouverts,
Regarder quel éclat a votre vrai visage,
Et si vous ressemblez à ce que j’ai souffert…

André Marquiset (1900-1981)

Enfance dans la Savoie (à ma grand-mère la Baronne de Laumont)

Il a plu cette nuit, une naïve odeur parfume le ciel gris
Un voile d’eau charmante,
Sur les vergers emplis de songe et de candeur
Jette sa transparente et vaporeuse mante.
Il fait à peine jour l’étroite ville dort
Et j’entends cependant que des ruisseaux d’air
Glissent avec un bruit de porcelaine et d’or
Une cloche sonner là-bas chez les clarisses.

Le repos (à Mademoiselle Nadia Boulanger)

Marcel Delannoy (1898-1962)

Les plaintes d’Ariane (à Marcelle Gérard)

Henri Dutilleux (1916-2013)

Regards sur l’infini (à Charles et Magdeleine Panzéra)

Lorsque la mort succédant à l’ennui
M’accordera sa secourable nuit
Douce au souhait que j’eus de cesser d’être,
Je veux qu’en paix l’on ouvre la fenêtre
Sur ce morceau de ciel où mon regard
A tant prié l’injurieux hasard
De m’épargner dans les joies ou les peines
Dont j’ai connu la suffocante haleine.
…Qu’à mes côtés se reposent mes mains,
Calmes ainsi que les sages étoiles,
Et sur mon front que l’on abaisse un voile,
Pour l’honneur dû aux visages humains…

Patrick de Laurière (1928-2010)

Jeunesse

Camille Saint-Saëns (1835-1921)

Violons dans le soir

Quand le soir est venu, que tout est calme enfin
Dans la chaude nature,
Voici que naît sous l’arbre et sous le ciel divin
La plus vive torture.

Sur les graviers d’argent, dans les bois apaisés,
Des violons s’exaltent.
Ce sont des jets de cris, de sanglots, de baisers,
Sans contrainte et sans halte.

Il semble que l’archet se cabre, qu’il se tord
Sur les luisantes cordes,
Tant ce sont des appels de plaisir et de mort
Et de miséricorde.

Et le brûlant archet enroulé de langueur
Gémit, souffre, caresse,
Poignard voluptueux qui pénètre le coeur
D’une épuisante ivresse.

Archets, soyez maudits pour vos brûlants accords,
Pour votre âme explosive,
Fers rouges qui dans l’ombre arrachez à nos corps
Des lambeaux de chair vive !

GLSG, le 9 décembre 2013