Peindre les yeux clos et les pieds nus de la Foi

George Dunlop Leslie (1835-1921), La Foi1858, huile sur toile, 59.2×35.1cm ©Hull, Ferens Art Gallery

Peintre britannique méconnu de l’époque victorienne et membre de l’Académie royale d’arts, George Dunlop Leslie s’est spécialisé dans la représentation de scènes de genre et d’allégories en s’inspirant du style préraphaélite en vogue à l’époque. Son tableau La Foi, conservé à la Ferens Art Gallery dans la ville d’Hull en Angleterre (Yorkshire), présente une figure de la foi originale.

Le thème de l’aveuglement jalonne les textes de l’Ancien et du Nouveau Testament. Nombreux sont les non-voyants, les mal-voyants cités comme Bartimée, aveugle de naissance et guéri par le Christ ou l’aveugle de Béthsaïde sur les paupières duquel Jésus impose les mains et met de la salive deux fois afin qu’il retrouve la vue. Songeons aussi à la prophétie de Jérémie citée par le Christ : « Ils ont des yeux et ne voient point, ils ont des oreilles et n’entendent point » (5:21) ou encore à « Un aveugle peut-il guider un autre aveugle ? »  (Lc 6, 39-42). L’aveuglement physique possède deux symboliques majeures : soit il s’agit d’une métaphore de l’aveuglement spirituel avant la révélation de la lumière du Salut, soit il s’agit d’un symbole de foi comme dans la peinture de Dunlop Leslie. D’ailleurs le peintre n’invente pas spécifiquement ce thème car les symboles des trois vertus théologales sont fixés depuis plusieurs siècles déjà par la Tradition :   l’Espérance est associée à l’ancre, la Charité est assimilée à un cœur enflammé et la Foi…est représentée par une femme qui marche avec confiance, les yeux voilés ou clos. 

La petite peinture de Dunlop Leslie étonne par la modernité du traitement de ce thème allégorique de la Foi, ici inspiré par la vie domestique anglaise du XIXe siècle. L’artiste représente une jeune femme qui entre dans un jardin cerné par une palissade de bois hérissée de dents métalliques. Pieds-nus, les yeux mi-clos, elle tient un grand roseau ou massette (Typha latifolia) souple en guise de sceptre, symbole de l’évangile et de la Loi qui guide l’être humain dans sa quête de vérité. D’ailleurs l’on distingue une rivière bordée de touffes de roseaux en arrière-fond. 

Sa robe bleue et blanche est ceinte d’une draperie rouge vif retenue comme une cape par un fermoir en métal ouvragé au motif central cordiforme. Ses cheveux bruns sont déployés sur ses épaules. La description botanique est particulièrement minutieuse, notamment dans les traits de pinceau des brins d’herbe très précis rehaussés de touches blanches pour augmenter l’impression d’ensoleillement du sol vert tendre.   

Le sujet de la porte de l’incroyance qui s’ouvre grâce à la foi est une forme de réponse de Dunlop Leslie à la célèbre peinture de William Holman Hunt intitulée La Lumière du Monde (1853-54, Keble College, Oxford) qui représentait le Christ frappant à la porte de l’âme fermée et recouverte de lierres et d’herbes envahissantes. En 1858, un autre peintre décide lui d’imaginer la Foi, naturelle et fraîche comme cette jeune femme qui pousse la porte close de l’âme fermée dont elle vient de tourner la clef – encore présente dans la serrure : le lierre du doute qui la barrait est rompu, les ronces de l’incroyance qui rampaient sont coupées, les vrilles du péché sont comme domestiquées, les piques métalliques de la palissade de l’irréligion sont vaincues. Ne laissera-t-elle pas derrière elle la porte grande ouverte pour que d’autres puissent y entrer aussi ? Désormais les yeux de l’âme peuvent voir la lumière du monde à l’image des paupières de cette jeune fille qui s’entrouvrent.  Puisse-t-elle nous faire méditer sur l’innocente cécité de la chair, sur la coupable cécité du cœur et sur la divine cécité de la Foi par laquelle le Dieu caché veut se révéler à ceux qui le cherchent avec droiture. 

©GLSG, Article pour la rubrique Art et Foi in Chemin d’Éternité, Revue du Sanctuaire Notre-Dame de Montligeon, n°317, Octobre-Novembre-Décembre 2023, pp.20-21