Semer avec les anges

Quelle peinture étrange et originale que cet ange semeur d’Armand Cambon qui fut artiste et exécuteur testamentaire d’Ingres ! Cet ange n’est pas mentionné dans les textes saints mais il semble que c’est à dessein que le peintre choisit de mêler plusieurs sources pour « inventer » un ange digne d’intérêt. Plusieurs paraboles savamment entremêlées caractérisent cette image méconnue. 

Armand Cambon (1819-1885), L’Ange Semeur, 1860, huile sur toile, 74,2x97cm ©Beauvais, musée de l’Oise

Gracieusement, un ange vêtu de blanc et d’or étend ses mains dans la campagne en répandant au vent des poignées de grains tirés du sac en bandoulière caractéristique des semeurs. Le mouvement dynamique de son corps céleste, le balancement de sa chevelure auréolée dans le vent, permettent d’évoquer la force de l’esprit qui « souffle où il veut ». Comme une pluie lumineuse, les grains tombent à travers le ciel et se répandent au vent, sur le sol : quel sera leur avenir ? 

             Élève de l’atelier d’Ingres, Armand Cambon reprend le modèle traditionnel des anges de la période qu’il réinterprète en faveur d’une rare image qui semble classique en apparence mais qui apparaît pour le moins originale. En effet, cet ange n’a d’existence explicite que si l’on entremêle plusieurs sources évangéliques. L’on distingue aisément dans la peinture de Cambon les évocations de la parabole du Semeur : les graines du bord du chemin sont piétinées par les passants ou mangées par les oiseaux, celles tombées sur la pierre manquent d’humidité et sèchent, celles qui tombent au milieu des ronces poussent mais sont rapidement étouffées. Seuls les grains tombés dans la bonne terre germent, donnent du fruit et chaque grain en produit au centuple (Luc 8 :4-8). On y lit également la Parabole du grain de sénevé qui évoque la croissance du Royaume des Cieux : « C’est la plus petite de toutes les semences ; mais quand il a poussé, il est plus grand que les légumes et devient un arbre, de sorte que les oiseaux du ciel viennent habiter dans ses branches. » (Mat. 13 : 32) La Parabole du bon grain et de l’ivraie évoque également les anges moissonneurs de la fin des temps : « Celui qui sème le bon grain, c’est le Fils de l’homme ; le champ c’est le monde ; le bon grain, ce sont les fils du royaume ; l’ivraie, les fils du Malin ; l’ennemi qui l’a semé, c’est le diable ; la moisson, la fin du monde ; les moissonneurs, ce sont les anges » (Mat. 13 :31-32).  Il n’y a pas de plus fin connaisseur de la nature, des saisons et de la culture des champs que le Christ quand il enseigne.

Cet ange interroge le spectateur. Oui, quel étrange ange qui sème sur un bord de chemin et non dans un vrai champ labouré, révélant l’intention symbolique de l’artiste ! Il apparaît comme un paysan ailé dans les champs de la terre des âmes : tout grain qui tombe dans le monde est menacé par le sol pierreux, le bec des oiseaux et les piqûres des chardons. Le loriot au plumage jaune et noir s’approche déjà avec les pigeons gris et blancs. L’intention morale de l’image est explicite et invite les croyants à être comme du « bon grain » qui porte du fruit et non comme ces grains stériles qui ne produisent rien, ni comme les sarments séchés qui ne sont bons qu’à être brûlés. En effet, l’ange Semeur est aussi l’Ange « Moissonneur » qui reviendra à la fin des temps pour vérifier la fécondité de ses semailles.

On peut lire également dans cette figure l’âme bienfaisante qui sème sur la terre une multitude de bonnes œuvres avec les anges en les tirant du trésor de son cœur, en vue de préparer la venue du Maître des Moissons dont la faucille de justice est aiguisée à la douce pierre de Miséricorde. 

©GLSG, article pour la rubrique Art et Foi in Chemin d’Éternité, Revue du Sanctuaire Notre-Dame de Montligeon, n°319, Avril-Mai-Juin 2024, pp.20-21.