Quand un peintre médite sur la mort de sa fille. L’ange d’Horace Vernet.

Horace Vernet (1789-1863) L’Ange de la mort (allégorie de la mort de la fille de l’artiste), 1851, huile sur toile, Saint-Pétersbourg, Musée de l’Ermitage ©Musée de l’Ermitage

Le peintre Horace Vernet (1789-1863) a la douleur de perdre sa fille Louise âgée de 31 ans. Quelques années plus tard, il peint en 1851 l’allégorie de sa mort dans un tableau spectaculaire intitulé L’Ange de la mort, conservé au musée de l’Ermitage de Saint-Pétersbourg.*

Un terrible ange obscur emporte le corps d’une jeune femme éthérée, laissant un jeune homme éploré au bord du lit de celle qui est en train de mourir. L’œuvre frappe par son aspect romantique, voire fantastique. La scène, baignée dans une lumière surnaturelle, présente pourtant une tragédie bien concrète car l’artiste et ses proches l’ont vécue dans leur chair. Quand elle meurt en 1845, Louise Vernet laisse deux enfants en bas-âge et un époux inconsolable, Paul Delaroche. Il est lui-même peintre et laisse de sa femme un portrait mortuaire poignant. Elle l’a rencontré à l’Académie de France à Rome, que son père dirige de 1829 à 1834.

Avec la mort de sa fille, l’artiste a souffert son propre chemin de croix. Il a pénétré l’intimité de toutes les stations menant au Calvaire, méditant sur les Ténèbres. Il est passé par le mystère du Vendredi Saint qui lui a permis de faire sien le cri poignant du Crucifié : « Père, pourquoi m’as-tu abandonné ?». Mais, peintre du Credo, il se concentre maintenant sur le dernier mystère, c’est à dire le plus grand, celui de la Résurrection du Sauveur qui anticipe toutes les résurrections des corps à venir. L’art devient le support de sa méditation, il arrache l’homme à la matérialité pour hisser son être vers le souffle de l’Esprit consolateur.

Exemplifiant le triomphe de la vie divine dans la nature humaine, Horace Vernet rend hommage à la piété sereine de sa fille et témoigne de sa propre foi, de façon saisissante. La silhouette de la jeune Louise, entre terre et ciel, ressemble déjà au corps glorieux de la Résurrection. Elle se tient presque debout, forte dans sa confiance face à l’ange fatal, lequel apparaît inexpressif et inerte. Il l’étreint mais elle lui échappe déjà, légère comme la vie face à la pesanteur du néant. Certes, Vernet évoque la tentation du désespoir en montrant le personnage prostré au premier plan, toutefois les mains jointes en prière du jeune homme annoncent la victoire de l’espérance. Cette victoire est magnifiée au moyen de nombreux symboles : le rameau de buis béni, le tableau de la Vierge des Sept Douleurs qui veille dans l’ombre, le rayon étincelant de lumière tombant à la verticale, la lampe suspendue ou le livre ouvert sur la Parole Sainte. La jeune fille, irradiant de tons blancs, se dresse au centre du tableau tel un ange de la Résurrection. Grâce à un habile jeu de perspective, son corps emprunte les ailes de l’ange obscur pour les sublimer dans sa propre clarté. Ne semble-t-elle pas murmurer, elle aussi, levant son index vers le Ciel : « Pourquoi cherchez-vous parmi les morts celui qui est vivant ? » (Luc, 24-5) Aucune Beauté ne se perd tant que l’âme prie et espère.

©GLSG (Article publié dans la revue Chemin d’Éternité, n°287, juillet-août 2018, pp.24-25.

*Voir l’esquisse préparatoire du tableau vendue chez Sotheby’s (lot 143, vente Collection Fabius, octobre 2011)

Esquisse préparatoire, Émile-Jean-Horace Vernet, L’ange de la mort ou La Jeune fille et la mort, Signé et daté en bas à gauche H Vernet 1841, Huile sur  carton
40 x 28 cm ©Sotheby’s