Les trois vertus du Jugement Dernier de Michel-Ange

Michel Ange (1475-1564) Le Jugement Dernier, 1536-41, fresque, Rome, Chapelle Sixtine ©Vatican

Chef d’œuvre monumental de l’art de la Renaissance, la fresque du Jugement Dernier de Michel-Ange aborde avec virtuosité un thème qui touche aux grandes questions religieuses et métaphysiques. Sa contemplation donne à réfléchir sur l’analogie entre le saint et l’artiste, tous deux appelés à pratiquer les trois vertus théologales selon leur vocation. En effet, l’oeuvre d’art peut être un acte de foi, d’espérance et de charité au service de la Rédemption.

Après avoir couvert de fresques la voûte de la Chapelle Sixtine à Rome, Michel-Ange est sollicité par le pape Paul III pour effectuer le célèbre Jugement Derniersur la paroi de l’autel. C’est un immense travail qui lui demande un labeur considérable entre 1536 et 1541. Michel-Ange nous explique visuellement que l’art, comme le salut n’est pas chose facile et que l’âme comme l’œuvre du peintre demande un soin constant. L’artiste et le saint doivent tous deux faire face au même défi : transformer un matériel brut en oeuvre d’art. Pour parvenir au résultat magistral du Jugement Dernier, l’artiste a suivi un chemin d’endurance souvent tortueux, semé d’épines et d’imprévus. Comme le saint qui connaît des heures d’angoisse et de découragement, il arrive à l’artiste de douter de son œuvre et de son talent mais la foi les empêche de sombrer dans la tentation du néant et dans la négation de leur idéal. L’artiste est appelé à poser plusieurs petits actes de volonté en réitérant chaque coup de pinceau par amour de Dieu et de son prochain. En traçant les contours de son œuvre avec persévérance, Michel-Ange a certainement pensé et prié pour tous ceux qui viendraient dans ce lieu après lui. Il bâtissait son œuvre non seulement pour le temps présent, mais aussi pour les croyants de l’Église à venir.

Michel Ange (1475-1564) Le Jugement Dernier, détail du Christ, 1536-41, fresque, Rome, Chapelle Sixtine ©Vatican

Cette tâche titanesque n’aurait pu voir le jour sans la vertu d’espérance, cette sœur fidèle de la Grâce qui donne la force, l’énergie et la joie de créer en vue de l’Amour de Dieu. Michel-Ange trempait ses pinceaux dans ses couleurs avec une opiniâtreté habitée par l’espérance. Il savait que sa fatigue serait récompensée par la beauté unifiée du résultat attendu, comme le saint trempe son âme dans la prière et lutte contre les tentations pour façonner son âme en vue du Royaume. L’artiste semait ses pigments sur la vaste surface en les ordonnant en vue d’un magnifique histoire peinte comme le Semeur dépose les grains de blé qui produiront la perspective fructueuse d’un champ qui nourrira les foules. Le dimanche 8 avril 1994, le pape Jean Paul II y célèbre l’eucharistie à l’occasion de l’inauguration de la restauration des fresques en rappelant que le Jugement Dernier est un trésor de l’Église protégé de génération en génération : «  Il s’agit d’un bien culturel d’une valeur inestimable, d’un bien qui possède un caractère universel. En témoignent les innombrables pèlerins qui, venus de toutes les nations du monde, visitent ce lieu pour admirer l’œuvre des plus grands maîtres et reconnaître dans cette Chapelle une sorte de synthèse admirable de l’art pictural. »

Le Jugement Dernier de la chapelle Sixtine se présente comme un acte de charité artistique dans lequel Michel-Ange met son talent au service de son prochain, en l’aidant à comprendre le prix payé par Dieu pour son Salut. La figure du Christ a été dessinée dans l’axe central, au-dessus de l’autel, lieu eucharistique où le Sauveur s’incarne à chaque messe. Autour de lui, les corps masculins et féminins dénudés disent avec gravité que l’être humain tiré de l’argile peut choisir de suivre le Sauveur en étant glorifié avec lui, ou préférer l’obscurité des démons. Dans ce jugement qui peut sembler terrifiant (même pour les saints qui y sont figurés !), la Vierge à la droite de son Fils apparaît en tant qu’Avocate, Advocata Nostra. Parce qu’elle a donné son humanité au Christ, elle précède le Peuple de Dieu et intercède pour lui dans sa marche vers le Ciel.

En se faisant prêcheur par l’image, théologien de la couleur et dessinateur de la Révélation, Michel-Ange prouve que l’artiste a un rôle indispensable dans la Communion des saints, puisqu’il associe le croyant à sa méditation sur les fins dernières. Les paroles de Jean-Paul II résument parfaitement l’étonnement émerveillé de celui qui lève les yeux au ciel dans ce lieu sacré : « Si, devant le jugement Dernier, nous restons ébaubis par la splendeur et par la terreur, en admirant d’un côté les corps glorifiés et de l’autre ceux qui sont soumis à la condamnation éternelle, nous comprenons aussi que la vision tout entière est profondément parcourue par une unique lumière et une unique logique artistique: la lumière et la logique de la foi que proclame l’Église lorsqu’elle confesse: « Je crois en un seul Dieu. »

©GLSG, article publié in Chemin d’Éternité, Revue du Sanctuaire Notre-Dame de Montligeon, n°283, Nov-Déc.2017, pp.24-25.