Clarifier son regard. La leçon spirituelle du Salvator Mundi

Léonard de Vinci (attrib.) Salvator Mundi, v.1500 ©collection particulière

La peinture du Salvator Mundi attribuée à Léonard de Vinci, a effectué un tour du monde virtuel et médiatique au mois de novembre 2017, en devenant le tableau le plus cher du monde. Au-delà des intérêts financiers liés à la vente de cette œuvre extraordinaire et des débats sur l’authentification de l’artiste, il invite à une lumineuse méditation car il fait apparaître le visage de ce Dieu qui se donne, paradoxe inouï, gratuitement.

Clarifier son regard, telle semble être la leçon du peintre, qu’il soit Léonard de Vinci ou non, à travers la figure du Christ Sauveur du Monde qui surgit de l’ombre et dont les yeux ne fuient pas le spectateur. Bien au contraire, il le bénit en levant sa main droite, tandis qu’il tient de la main gauche un orbe transparent comme du cristal. Ce portrait sacré le rend proche du croyant comme s’il l’invitait à l’écouter, en raison du choix du cadrage à mi-corps et du fond obscur qui renforce l’intimité de l’atmosphère. Ses stigmates ne sont guère visibles, mais c’est bien un Christ royal, ressuscité, qui a triomphé des ténèbres et du péché, et qui règne désormais sans partage sur le monde renouvelé par son sacrifice. La lumière plie et déplie ses couleurs lentement sur sa tunique drapée de bleu, brodée d’or et de pierres précieuses. L’artiste a aussi posé de délicates touches de luminosités sur ses deux mains et dessiné des vibrations dorées dans ses cheveux ondulés.Le peintre montre que l’artiste ne peut vivre que dans le jour ni se consacrer uniquement à la nuit : il doit apprendre à clarifier son regard sur la création, nuancer son œuvre entre aube et soir. La Grâce n’annule pas les ténèbres ni ne révèle toute la lumière en ce monde, elle avance par petites touches, laissant à la vertu de patience le soin de révéler son chromatisme. La technique du sfumatoavec lequel il brouille imperceptiblement les contours de sa figure en est un merveilleux exemple, en lui permettant de modeler le sourire du Christ avec suavité.

Fasciné par la beauté du corps humain, l’artiste de la Renaissance offre en contemplation la royauté salvatrice du Seigneur et sa calme magnificence, en insistant sur la limpidité de son regard qui est particulièrement saisissante.Le peintre semble rappeler ici que clarifier son regard, c’est d’abord se confronter au réel et observer la nature en tant que lieu métaphysique où se révèle le grand-oeuvre de Dieu. L’œil du Christ illumine l’œil de l’artiste en lui rendant un iris vierge, une pupille pure, une rétine innocente, à l’image de l’orbe transparent qui encercle dans sa forme parfaitement symbolique le monde renouvelé. Face au Salvador Mundi, comment ne pas songer à l’expérience de saint Paul décillé retrouvant le cristallin de l’enfance spirituelle : « Aussitôt tombèrent de ses yeux comme des écailles, et il retrouva la vue. » (Actes, 9) ?

©GLSG, article publié dans la rubrique Art et Foi, in Chemin d’Éternité, Revue du Sanctuaire Notre-Dame de Montligeon, n°285, Mars-Avril. 2018, pp.26-27.