Visiter le Cimetière des Anglais de Florence

L'allée principale du cimetière des Anglais de Florence

L’allée principale du cimetière des Anglais de Florence

Il y a à Florence Michel Ange, Fra Angelico, Donatello, le Duomo, David, le Palais Pitti… et il y a le moins connu Cimitero degli Inglesi, ou Cimetière des Anglais, valant certainement le détour. Destiné à recevoir les dépouilles protestants de la Chiesa evangelica riformata di Firenze ou des non catholiques (acatolici), il est construit en 1827 par l’architecte Carlo Reishammer, initialement pour la communauté suisse, et fermé en 1875 (1). Il s’agit donc d’un petit cimetière-type du XIXe siècle avec ses 1409 tombes où reposent 760 anglais, 433 suisses, 87 américains,  54 russes, enterrés durant cette période. On remarque tristement qu’il y a  beaucoup d’enfants, à une époque où la mortalité infantile était encore très haute, comme la tombe de la petite Anna Maria Cecilia.

Tombe sculptée d'Anna Maria Cecilia

Tombe sculptée d’Anna Maria Cecilia

Statue funéraire du Cimetière des Anglais de Florence

Statue funéraire du Cimetière des Anglais de Florence

Le cimetière se présente sous la forme d’une butte ovale entourée de grilles qui surplombe la piazza Donatello, au croisement de la Viale Giacomo Matteotti et de la Viale Antonio Gramsci. Il est divisé symétriquement en quatre allées qui convergent vers le centre où se dresse une grande colonne de marbre offerte par  Frédéric Guillaume de Prusse en 1858, entourée de six cyprès et quatre bancs.

La colonne centrale du Cimetière des Anglais offerte par Frédéric de Prusse

La colonne centrale du Cimetière des Anglais offerte par Frédéric de Prusse

Arnold Böcklin, L'Île des Morts, 1886, huile sur toile, 80 x 150 cm, Museum der bildenden Künste (Leipzig)

Arnold Böcklin, L’Île des Morts, 1886, huile sur toile, 80 x 150 cm, Museum der bildenden Künste (Leipzig)

La ressemblance est stupéfiante avec le tableau de L’Ile des Morts (1879) d’Arnold Böcklin (1827-1901). Le peintre s’en serait inspiré pour les cinq versions de cette oeuvre célèbre, exécutée après le décès de sa fille Maria Anna (1877) morte et enterrée à l’âge de 7 mois. Il s’était marié à une italienne, Angela Pascucci. Sergueï Rachmaninov, ayant vu le tableau en 1907 à Paris, compose The Isle of the Dead poème symphonique empli des lents mouvements de la barque de Charon qui dirige l’âme vers la mystérieuse butte de pierre baignant dans le Styx. Aussi romantique que le  cimetière anglais !

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Tombe à l'Ancre, symbole d'espérance dans le Cimetière des Anglais de Florence

Tombe à l’Ancre, symbole d’espérance dans le Cimetière des Anglais de Florence

On circule au milieu des dalles blanches à demi-effacées, des grilles rouillées, des buis taillés, des hauts cyprès, des buissons de romarin, des iris, des lavandes et des myrtes. Tout est symbole d’espérance : les croix, les sentences latines, les ancres, les allégories, les couronnes, les chenilles devenant papillons, les bas-reliefs gravés de phrases évangéliques. Ici, les ouroboros ne s’avaleront pas toujours à l’infini et même le squelette décharné de la mort ploie la jambe sous l’immortalité du Ciel, en trainant sa faux. Malheureusement certaines allées sont en mauvais états et inaccessibles.

Sculpture de la Mort et sa faux sur une tombe du Cimetière des Anglais de Florence

Sculpture de la Mort et sa faux sur une tombe du Cimetière des Anglais de Florence

L'Oiseau-Lyre désignant un papillon symbole d'espérance, entouré du serpent qui se mord la queue ou l'Ouroboros de la Mort.

L’Oiseau-Lyre désignant un papillon symbole d’espérance, entouré du serpent qui se mord la queue ou l’Ouroboros de la Mort.

La majorité des personnalités sont inconnues, mais peu importe, on admire les plaques, gisants et sculptures. Il est toutefois bien émouvant de pouvoir contempler la tombe de Fanny Waugh (1833-1866), jeune épouse du peintre préraphaélite William Holman Hunt, morte à  l’âge de trente-trois ans à Florence, l’année de son mariage.

William Holman Hunt, Isabella and the pot of basil, 1868, Laing Art Gallery (Newcastle upon Tyne) 187 cm × 116 cm

William Holman Hunt, Isabella and the pot of basil, 1868, Laing Art Gallery (Newcastle upon Tyne) 187 cm × 116 cm

La tombe de marbre blanc a été dessinée par Hunt et le peintre-sculpteur Lord Frederic Leighton. Hunt se trouvait à Florence en 1866-67 avec Fanny lorsqu’elle mourut de la malaria deux mois après la naissance de son fils. Ils vivaient au 14 Lung´Arno Acciajoli et Hunt travaillait de 8.30 du matin au crépuscule dans son atelier situé au 16 Via Delle Belle Donne où il peignait à cette période sa toile Isabella and the pot of basil (2).

Tombe de la poétesse Elizabeth Barrett Browning au Cimetière des Anglais de Florence

Tombe de la poétesse Elizabeth Barrett Browning au Cimetière des Anglais de Florence

Tombe de la poétesse Elizabeth Barrett Browning au Cimetière des Anglais de Florence. A l'arrière-plan la tombe de Fanny Waugh, épouse du peintre préraphaélite William Holman Hunt.

Tombe de la poétesse Elizabeth Barrett Browning au Cimetière des Anglais de Florence. A l’arrière-plan la tombe de Fanny Waugh, épouse du peintre préraphaélite William Holman Hunt.

On se recueille surtout sur la tombe de la poétesse anglaise Elizabeth Barrett Browning (1806-1861) pour faire mentir un peu Virginia Woolf qui se lamentait en 1931 que « Le destin n’a  pas épargné l’écrivain que fut Elizabeth Browning. Nul ne la lit, nul n’en parle, nul ne songe à lui rendre justice » (3). Le couple Browning s’installa à Florence de 1845 à la mort d’Elizabeth en 1861, en faisant partie du cercle littéraire et artistique composé de personnalités anglaises installées dans la ville, à l’image d’Isabella Blagden (1818-1873), de la famille Trollope, du poète Arthur Hugh Clough (1819-1861), du poète Walter Savage Landorenterrés ici. Elizabeth Browning fit de Florence sa ville de prédilection : « …I love Florence, I cannot leave Florence ». Sa tombe se trouve dans le premier carré à gauche, en entrant. Elle fut dessinée par son époux Robert Browning et par Lord Leighton, puis exécutée par l’artiste italien Luigi Giovannozzi (1791-1870) sous la forme d’un sarcophage surélevé avec un portrait de profil en médaillon, une lyre et des motifs décoratifs dans le pur style du dix-neuvième siècle. Une main généreuse planta un rosier, des iris, du lierre et des  narcisses à ses pieds.

Tombe de Walter Savage Landor au Cimetière des Anglais de Florence avec l'épitaphe d'Algernon Swinburne

Tombe de Walter Savage Landor au Cimetière des Anglais de Florence avec l’épitaphe d’Algernon Swinburne

Le poète Algernon Swinburne composa l’épitaphe suivante sur la tombe du poète Walter Savage Landor (1775-1864), ornée d’un grenadier et d’un arbuste au feuillage lancéolé :

« And thou, his Florence, to thy trust
receive and keep
Keep safe his dedicated bust
his sacred sleep
So shall thy lovers come from far
mix with thy name
As morning star with evening star
his faultless fame »

Sculpture d'une femme en pleurs tenant une couronne dans le Cimetière des Anglais de Florence

Sculpture d’une femme en pleurs tenant une couronne dans le Cimetière des Anglais de Florence

Si beaucoup d’Anglais ne furent pas enterrés ici, la plupart subirent l’influence du voyage en Italie et ressentirent un irrésistible attrait pour la ville de Florence, étape obligée du Grand Tour du siècle de Victoria. On songe à John Brett (1861-62), John Ruskin (qui écrivit ses Mornings in Florence, 1876), Edward Burne Jones, Walter Crane, John Everett Millais (1865), Roddham Spencer Stanhope, Thomas Matthews Rooke, Edward Lear, Henry Roderick Newman, Evelyn de Morgan, William Michael Rossetti, William Bell Scott, JW Bunney, Marie Spartali et son époux William Stillman, Frederic Leighton, etc. Charles Fairfax Murray s’y installera en  marchand d’art, se faisant le relais de l’art des Primitifs auprès de l’Angleterre. Tous s’inspirèrent des grands mythes italiens dans la littérature de Dante à Boccace, évoqués en parallèle de l’art florentin de Giotto à Fra Angelico en passant par Botticelli, véritable objet d’étude et d’amour dans la quête préraphaélite et symboliste de la deuxième moitié du siècle.  

On ne peut que paradoxalement se réjouir que certains de ces fidèles défenseurs de Beauté reposent en ce lieu élégiaque digne de leur combat esthétique. Ars gratia Artis. 

Plaque funéraire du Cimetière des Anglais de Florence

Plaque funéraire du Cimetière des Anglais de Florence

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Le Cimetière des Anglais de Florence, vue en noir et blanc

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

G.L.S.G., Florence, le 29 janvier 2015

 

 

(1) Fermé en 1875 pour des raisons sanitaires, il est toutefois aujourd’hui possible d’y être enterré à condition que ce soit après incinération.
(2) Cat.expo, The Pre-Raphaelites and Italy, Oxford Ashmolean Museum of Art, 2010. Colin Harrison and Christopher Newall (dir), p.132.
(3) Article de Virginia Woolf paru dans The Common Reader, 1931, repris in Les Fruits étranges et brillants de l’art, Ed. des Femmes, Paris, 1983, p.122.