LIRE ET RELIRE La route du thé et des fleurs par Robert Fortune (1852)

« Prenez les choses avec calme, et ne perdez jamais votre sang-froid » : telle doit être la devise de tout voyageur, mais surtout du voyageur en Chine. C’est toujours ce qu’il y a de mieux à faire ; si vous laissez les choses aller toutes seules, il y a dix à parier contre un que vous sortirez sans encombre d’une position tout aussi désagréable que celle où je me trouvais alors, tandis que, si vous voulez intervenir, il est à peu près certain que vous gâterez tout. »

Robert Fortune

Rien de plus distrayant que de lire les fabuleuses aventures du botaniste et voyageur Robert Fortune (1812-1880) envoyé par l’Angleterre au milieu du XIXe siècle, en 1848, à la recherche de plants et de graines de thé pour les acclimater en Inde*. Déguisé en chinois, avec le crâne rasé et une fausse tresse, il va traverser incognito pendant plusieurs mois des routes et des chemins pavés de superbes découvertes botaniques mais aussi semés d’embûches, avec un flegme et un sang-froid tout britanniques ! Sa mission accomplie, il revient victorieux en Angleterre, qui brise alors le monopole chinois sur la culture et le commerce du thé.

Le botaniste Robert Fortune
(1812-1880)

Innombrables sont les citations de spécimens botaniques. On découvre avec l’auteur l’arbre à suif, l’arbre à laque, le Magnolia purpurea, le Kumquat, le Nandina domestica, l’Aglaia odorata, les Azalea chinensis, les bambous, le Cryptomeria japonica, le Victoria regia et encore mille espèces dont le nom évoque les magnifiques paysages des districts chinois où l’on cultive le thé.

Les 16 chapitres sont courts, faciles à lire et écrits dans un style factuel propre aux récits de voyage avec quelques traits d’humour. Robert Fortune décrit ses coolies, la mentalité des habitants selon les régions de Chine. On le suit dans sa chaise à porteurs en croisant des fumeurs d’opium, des cueilleurs de thé, des mendiants ou des mandarins. Ses descriptions permettent d’imaginer les étapes de son séjour et comment il s’organise matériellement pour parvenir à ses fins : récolter le maximum de plants, de graines et d’espèces, les transporter de façon sécurisée et les faire parvenir en Inde. Il donne de nombreux détails sur les coutumes chinoises (nouvel-an), la cuisine et l’usage sacro-saint des baguettes, les temples et les moines ainsi que sur l’aspect des paysages de plaine ou de montagnes, entre fleuves et rivières comme celle « des Neuf Détours » à cause des cours sinueux. Fortune évoque les pratiques autour du thé : « Les coolies étaient maintenant très nombreux, tous chargés de thé, mais la moitié peut-être ne portaient qu’une seule caisse. C’est ainsi que voyagent les thés fins ; on ne les laisse jamais toucher terre pendant la route ; aussi arrivent-ils toujours en bien meilleure condition que les autres. » Il décrit la façon dont on transporte ces caisses avec un stratagème de bambous attachés qui permet au porteur de les porter tout en pouvant se reposer.

Transport du thé

Ce type de lecture permet de se replonger dans la vaste histoire des chasseurs de plantes qui ont contribué à la gloire et au déclin des Empires. Il fait songer au nombre de kilomètres parcourus par les hommes pour que des nations puissent ajouter dans leur eau chaude quotidienne quelques feuilles d’un camélia très spécial (Camellia sinensis). Aujourd’hui le thé est une des boissons les plus bues au monde…mais laissons Robert Fortune citer ce proverbe chinois :

« Le thé a toutes les vertus : cultive-le et il répandra généreusement ses bienfaits ; bois-le et les esprits animaux s’en trouveront ragaillardis et magnifiés ».

©GLSG, le 20 avril 2022

*Edition Payot Rivages, Robert Fortune, La route du thé et des fleurs, Petite Bibliothèque Payot/Voyageurs, 2012, trad. anglaise Élisabeth Luc et Gérard Piloquet.