Cher Lecteur,
Écrit entre 2014 et 2016, le recueil Hortus Conclusus, Les Litanies du Jardin est composé de plus de 650 quatrains dédiés aux fleurs et végétaux. J’en ai tissé les vers, jour après jour sur la trame de l’expérience personnelle pour me hisser à l’Universel, car n’est-ce pas le sens de toute vocation poétique que d’écrire les échos de son coeur dans la forêt de ses carnets pensifs, en percevant toutes les gammes de l’âme humaine, afin que l’humanité s’y reconnaisse aussi ? Poétesse, je suis partie du détail de mon intériorité, mine fabuleuse dont j’ai extrait le minerai à la force de mon bras, à la fatigue de mon esprit et à la source de mes larmes, comme la chercheuse d’or en quête de son trésor, comme l’alchimiste abandonne tout pour trouver la pierre philosophale. Il n’y a pas de poésie facile. Même la phrase qui semble la plus simple à l’oreille ou à la lecture est le fruit d’un travail et non d’un hasard, sauf lorsque l’écriture a su saisir et capter le mot juste comme l’astronome intercepte une constellation qu’il espérait !
J’ai voyagé, j’ai marché dans ces paysages lointains, sans cesse et toujours, en m’émerveillant et en m’étonnant de l’analogie de mes sentiments, de mes pensées et de mes sensations avec la nature qui foudroie par sa magnificence et sa complexité. De l’infiniment grand de la voûte céleste à l’infiniment petit de la flore, tout était à l’image de mon être : vibrant, vivant, joyeux et souffrant. J’ai pris ma torche d’Idéal et j’ai fendu la nuit obscure de mon pas, en laissant les morts enterrer leurs morts pour trouver cette magnifique vie intérieure qui ne s’achète, ni ne se vend. Tous les arts ne furent pas de trop pour me soutenir durant cette quête. Un seul titre devint alors possible pour ce recueil : Hortus Conclusus, qui signifie « Jardin Clos » en latin, terme issu du célèbre jardin médiéval inspiré du Cantique des Cantiques et qui qualifie la Bien-Aimée parce que le jardin intérieur de Poésie est nécessairement clos, à l’abri des regards. Le titre est étroitement lié au poème liminaire de Dante Alighieri, extrait de la Vita Nova: « Et lorsqu’ils me demandaient : ‘Pour qui t’a ainsi consumé cet amour ?’ Je les regardais en souriant et ne disais rien.’ » L’intériorité du poète est indicible. Il ne peut qu’écrire ce qu’il vit et ce qu’il ressent, incapable de répondre aux questions brutes et brusques de l’a-poésie. Il demande simplement au questionneur de le suivre et de comprendre lui-même son secret, en interrogeant sa propre âme. C’est en ce sens que poétique et philosophie sont toutes deux soeurs de la maïeutique chère à Socrate. Il faut choisir librement d’entrer dans ce jardin ou bien d’en demeurer à la porte, alors « Le mystère n’est perdu que pour eux-mêmes » comme le remarquait si bien Rainer Maria Rilke. Le secret pudique de la poésie ne se manifeste qu’à celui qui prend le temps d’ouvrir la porte de la page de couverture pour se promener dans ce parc abrité. Il faut du silence, du calme, de la disponibilité et du temps, comme toute promenade. On ne parcourt pas tous les chemins d’un seul coup, on ressort, on garde la clef dans sa poche et l’on y revient dès que l’âme se sent prête à revenir à nouveau pour emprunter une autre voie.
Chaque plante, arbre, fleur ou fruit, est ici caractérisé et personnalisé en quatre lignes rimées, la plupart du temps en décasyllabes, hendécasyllabes ou alexandrins. Exercice poétique, jeu de jardin littéraire mais aussi contrainte qui oblige la liberté à s’épanouir en sacrifiant une part d’elle-même pour mieux donner son nectar comme ces arbres qui offrent un fruit meilleur quand ils sont taillés. Conçu comme un alphabet, à l’image des fascinants atlas botaniques et des herbiers antiques, Hortus Conclusus s’inspire de la poésie française d’antan dont la langue est glorifiée selon le rythme personnel et la voix unique de la poétesse. Ce recueil ne se réclame pas d’une quelconque modernité car la Poésie est intemporelle: elle n’est la serve d’aucun siècle, ou si peu. Elle se veut âme et non mode. C’est sa splendide gloire et sa merveilleuse fragilité ! Tout poète ne fait que recommencer l’éternel chemin d’amour tragique d’Orphée vers Eurydice, et de l’Eurydice perdue vers les Ménades, métaphores de l’existence qui le dévore. Il partage le même atelier que tous les voyants et les alchimistes du Verbe de tous les siècles. C’est pourquoi l’ouvrage est placé sous la figure allégorique de Clémence Isaure, personnage semi-légendaire qui préside l’Académie des Jeux Floraux fondée à Toulouse en 1323, l’une des plus anciennes académies littéraires du monde occidental. Cette figure féminine qui guide les Cours de poésie et couronne les poètes du Gai Savoir, est encore aujourd’hui éminemment symbolique : le Lyrisme et la force de la Création poétique se dressent toujours face à la Barbarie qui menace les civilisations. Coupez la tête d’un poète, il en naîtra dix autres de son sang fécond. Hortus Conclusus se veut ouvrage de paix, hommage à l’homme et à la femme réconciliés, hommage à l’Harmonie, au Lyrisme, à la Beauté salvatrice qui emporte dans ses flots le tumulte du monde, de siècles en siècles. La voix de Rilke, à nouveau, retentit en nous : « Et le grand renouvellement du monde tiendra sans doute en ceci : l’homme et la femme, libérés de toutes leurs erreurs, de toutes leurs difficultés, ne se rechercheront plus comme des contraires, mais comme des frères et sœurs, comme des proches. Ils uniront leurs humanités pour supporter ensemble, gravement, patiemment, le poids de la chair difficile qui leur a été donnée. »
M. Jean-Paul Guerlain, grand parfumeur et magicien des odeurs, a eu la bonté d’être sensible à Hortus Conclusus, et m’a fait l’honneur de dédicacer cet ouvrage, unique préface poétique qu’il ait jamais écrite. Pascal Brault, styliste de la maison Chanel et membre de la Société française d’Illustration botanique a effectué 40 superbes aquarelles pour accompagner le texte. Ma reconnaissance envers lui est égale à l’admiration que j’ai pour son travail. L’éditeur Erick Bonnier a suivi l’élaboration de cette naissance poétique avec confiance et volonté : qu’il soit aussi remercié avec gratitude d’avoir participé à tresser cette couronne de poèmes où vivent tant de souvenirs, désormais offerts à l’avenir. Ars gratia artis
Et maintenant, mon Livre, va vers ta destinée !
Gabrielle de Lassus Saint-Geniès, le 16 novembre 2017