Les Amours du Poète (Dichterliebe) de Robert Schumann

En 1840 Robert Schumann (1810-1856) se marie avec Clara Wieck. Il compose un cycle de seize lieder intitulé Dichterliebe (Les Amours du poète), mélodies pour une voix masculine et piano sur des poèmes de l’allemand Heinrich Heine (1797-1856). À cette époque le lied, courte mélodie chantée se renouvelle avec le mouvement romantique au service d’une expressivité lyrique toute intérieure. Ici les morceaux apparaissent intimement liés les uns aux autres. Les trois premiers expriment la joie du printemps, la gaieté amoureuse et le bonheur de vivre. Dès le quatrième, une note plus mélancolique se détache qui culmine dans le célèbe « Ich Grolle Nicht » (n°7) particulièrement poignant. Enfin, les désillusions et les peines se succèdent et s’achèvent dans la mort malgré les tentatives d’espérances du poète. Les Dichterliebe peuvent aussi être interprétés au piano seul ou en duo piano/violoncelle.

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La ligne mélodique de l’ensemble forme une guirlande de joyaux musicaux inégalés qui sont à compter parmi les plus beaux lieds du répertoire romantique. Le chanteur Dietrich Fischer-Dieskau en demeure un des maîtres de l’interprétation. L’ensemble dure environ 32 min.

Voici le descriptif résumé de chaque morceau (traduction française de Charles Beltjens, 1827) :

1.« Im wunderschönen Monat Mai » (Au mois de mai quand la lumière)

De douces arpèges construisent un support tendrement solide pour la voix qui ne peut être qu’en retenue comme l’âme qui contient un bonheur qu’elle ne veut pas laisser s’échapper. Il s’agit de la naissance de l’amour.

Im wunderschönen Monat Mai,
Als alle Knospen sprangen,
Da ist in meinem Herzen
Die Liebe aufgegangen.

Im wunderschönen Monat Mai,
Als alle Vögel sangen,
Da hab’ ich ihr gestanden
Mein Sehnen und Verlangen.

Au mois de mai, quand la lumière
Voyait tous les bourgeons s’ouvrir,
L’amour, en sa douceur première,
Dans mon cœur s’est mis à fleurir.

Au mois de mai, sous la rainée.
Tous les oiseaux chantaient en chœur
Quand j’ai dit à la bien-aimée
Le tendre secret de mon cœur.

2. « Aus meinen Tränen sprießen » (De mes larmes s’épanouissent)
« Nicht schnell », pas trop rapide précise Schumann dans la partition de ce morceau court comme un soupir romantique.

Aus meinen Tränen sprießen
Viel blühende Blumen hervor,
Und meine Seufzer werden
Ein Nachtigallenchor.

Und wenn du mich lieb hast, Kindchen,
Schenk’ ich dir die Blumen all’,
Und vor deinem Fenster soll klingen
Das Lied der Nachtigall.

De mes larmes s’épanouissent
Des fleurs en bouquets radieux,
Et de tous mes soupirs surgissent
Des rossignols mélodieux.

D’amour que ton cœur se pénètre,
Les fleurs à tes pieds tomberont,
Et, jour et nuit, à ta fenêtre,
Mes doux rossignols chanteront.

3.« Die Rose, die Lilie, die Taube, die Sonne » (La rose, le lis, la colombe, le soleil)

Une note d’humour, chatoiement carnavalesque, à jouer « gaillard » (« munter ») selon les instructions du musicien. Un inventaire espiègle des merveilles du monde et de la « merveille » de la bien-aimée.

Die Rose, die Lilie, die Taube, die Sonne,
Die liebt’ ich einst alle in Liebeswonne.
Ich lieb’ sie nicht mehr, ich liebe alleine
Die Kleine, die Feine, die Reine, die Eine;
Sie selber, aller Liebe [Bronne],
Ist Rose und Lilie und Taube und Sonne.

Autrefois lis et rose, et colombe et soleil,
Je les ai tous aimés d’un amour sans pareil.
À présent de mon cœur qui changea de tendresse,
Ma mignonne si douce est l’unique maîtresse ;
Elle même est pour moi source pure d’amour,
La colombe et la rose, et le lis et le jour.

4.« Wenn ich in deine Augen seh » (À tes yeux si beaux)

« Langsam », c’est à dire « lent » avec un doigté et un grain délicatement retenu. Sentir s’immiscer la peine dans le coeur du poète conscient de sa fragilité face à l’amour de celle qu’il aime.

Wenn ich in deine Augen seh’,
So schwindet [all’ mein Leid] und Weh;
Doch wenn ich küße deinen Mund,
So werd’ ich ganz und gar gesund.

Wenn ich mich lehn’ an deine Brust,
Kommt’s über mich wie Himmelslust ;
Doch wenn du sprichst: ich liebe dich !
[So] muß ich weinen bitterlich.

À tes yeux si beaux quand mes yeux s’unissent,
Tous mes chagrins s’évanouissent ;
D’un baiser ta bouche, au rire enchanté,
Me rend la joie et la santé.

Sur mon cœur brûlant quand mon bras te presse,
Du paradis je sers l’ivresse ;
Mais quand tu me dis ; je t’aime ardemment,
— Je pleure, hélas ! amèrement.

5.« Ich will meine Seele tauchen » (Dans le lis le plus pur mon âme)
Belle harmonie poétique pleine d’espérance qui emprunte à l’oiseau la franchise de son vol. L’inspiration surgit et s’élance comme un lis brillant d’amour.

Ich will meine Seele tauchen
In den Kelch der Lilie hinein;
Die Lilie soll klingend hauchen
Ein Lied von der Liebsten mein.

Das Lied soll schauern und beben
Wie der Kuß von ihrem Mund,
Den sie mir einst gegeben
In wunderbar süßer Stund’.

Dans le lis le plus pur mon âme,
Ivre de bonheur, plongera ;
Soudain la fleur exhalera
Un chant à l’honneur de ma dame.

Je veux qu’il vibre, énamouré
En doux frissons, comme une lyre.
Pareil au baiser, qu’en délire
De ses lèvres j’ai savouré.

6.« Im Rhein, im heiligen Strome » (À Cologne, la ville sainte)

Plus solennel, à jouer assez lent (« ziemlich langsam »). Le poète entre dans une cathédrale où la bien-aimée semble égale à un vitrail de dévotion. Du pur romantisme baigné de néo-gothique.

[Im] Rhein, [im] [schönen] Strome,
Da spiegelt sich in den [Well’n]
Mit seinem großen Dome
Das [große, heil’ge] Köln.

Im Dom da steht ein Bildnis,
Auf [goldnem Leder] gemalt ;
In meines Lebens Wildnis
Hat’s freundlich [hineingestrahlt]

Es schweben Blumen und Eng’lein
Um unsre liebe Frau ;
Die Augen, die Lippen, die Wänglein,
Die gleichen der Liebsten genau.

À Cologne, la ville sainte,
La cathédrale au front serein
Reflète sa gothique enceinte
Aux flots majestueux du Rhin.

Dans le temple on garde une image,
Sur cuir doré; — j’ai vu toujours
Rayonner ce charmant visage.
Dans le désert où vont mes jours.

Entre des fleurs, parmi des anges,
C’est Notre-Dame; — trait pour trait,
Bouche, regard charmes étranges,
De ma belle c’est le portrait.

7.« Ich grolle nicht » (J’ai pardonné)

« Nicht zu schnell ». À ne pas jouer trop vite, ni trop lentement non plus ! Mais sentir avec le coeur au bord des doigts, déployer l’émotion et les nuances sans hésiter à syncoper très discrètement les phrases. L’une des perles du cycle des Amours du Poète.

Ich grolle nicht

Ich grolle nicht, und wenn das Herz auch bricht,
Ewig verlor’nes Lieb,
Ich grolle nicht, ich grolle nicht.
Wie du auch strahlst in Diamantenpracht,
Es fällt kein Strahl in deines Herzens Nacht,

Das weiß ich längst.
Ich sah dich ja im Traume,
Und sah’ die Nacht in deines Herzens Raume,
Und sah’ die Schlang’, die dir am Herzen frißt,
Ich sah’, mein Lieb, wie sehr du elend bist.

Ich grolle nicht, ich grolle nicht.

J’ai pardonné

J’ai pardonné, mon cœur dût-il se briser,
Ô mon aimée à jamais perdue,
J’ai pardonné, j’ai pardonné.
Tu rayonnes dans l’éclat de tes diamants mais
Nul rayon n’en tombe dans la nuit de ton cœur

Je ne le sais que trop.
Ne t’ai-je pas vue en rêve ?
J’ai vu la nuit qui remplit ton âme,
J’ai vu le serpent qui te ronge le cœur,
J’ai vu, mon cher amour, ta détresse infinie.

J’ai pardonné, j’ai pardonné.

8.« Und wüssten’s die Blumen » (Si les petites fleurs)
La nature pourtant si consolatrice ne peut guérir la blessure d’amour du poète égaré.

Und wüßten’s die Blumen, die kleinen,
Wie tief verwundet mein Herz,
Sie würden mit mir weinen,
Zu heilen meinen Schmerz.

Und wüßten’s die Nachtigallen,
Wie ich so traurig und krank,
Sie ließen fröhlich erschallen
Erquickenden Gesang.

Und wüßten sie mein Wehe,
Die [goldnen] Sternelein,
Sie kämen aus ihrer Höhe,
Und sprächen Trost mir ein.

[Die] alle können’s nicht wissen,
Nur [eine] kennt meinen Schmerz;
[Sie] hat ja selbst zerrissen,
Zerrissen mir das Herz.

Si les petites fleurs
Connaissaient mes alarmes,
Pour guérir mes douleurs,
Chacune avec mes pleurs
Voudrait mêler ses larmes.

Si les rossignolets
Savaient quel mal m’oppresse,
Ces charmants oiselets,
De leurs plus doux couplets,
Berceraient ma détresse.

Les étoiles aussi,
Regardant ma misère,
Sur mon affreux souci,
Aussitôt radouci,
Verseraient leur lumière.

Mais de sa cruauté
Nul ne sait la torture,
Excepté la Beauté
Dont la main m’a porté
L’incurable blessure.

9.« Das ist ein Flöten und Geigen » (De ma belle aujourd’hui c’est la noce)

La joie de la bien-aimée est aussi forte que la peine du poète qui voit s’enfuir à tout jamais l’objet de ses désirs.

Das ist ein Flöten und Geigen,
Trompeten schmettern [drein] ;
Da tanzt [wohl] den Hochzeitreigen
Die Herzallerliebste mein.

Das ist ein Klingen und Dröhnen,
[Von Pauken und Schalmei’n] ;
Dazwischen schluchzen und stöhnen
Die [guten] Engelein.

De ma belle aujourd’hui c’est la noce; – on entend
Le bal triomphant qui commence;
Elle y danse, folâtre, et l’orchestre éclatant
Excite sa valse en démence.

Et cymbales, clairons, langoureux violons.
Et fifres moqueurs qui sifflotent,
A travers leurs doux sons emplissant les salons
Les bons petits anges sanglotent.

10.« Hör’ ich das Liedchen klingen » (Quand j’entends cet air qu’autrefois)

Le poète se souvient avec nostalgie d’un air lié à sa bien-aimée. Son chant se mêle aux réminiscences musicales amoureuses.

Hör’ ich das Liedchen klingen,
Das einst die Liebste sang,
[So will mir die Brust] zerspringen
[Vor] wildem [Schmerzendrang.]

[Es treibt mich] ein dunkles Sehnen
Hinauf zur Waldeshöh’,
Dort löst sich auf in Tränen
Mein übergroßes Weh’.

Quand j’entends cet air qu’autrefois
Chantait sa bouche purpurine,
Je tremble, et mon cœur aux abois
S’agite à briser ma poitrine.

Vers l’âpre cime des forêts
Je cours, poussé par ma détresse;
Là, j’exhale en des pleurs secrets
L’immense chagrin qui m’oppresse.

11.« Ein Jüngling liebt ein Mädchen » (Un jeune homme adore une belle)

Avec humour et une certaine auto-dérision le poète se moque d’un « jeune homme qui aimait une jeune fille qui en aimait un autre qui ne l’aimait pas » dans une chanson pleine de jeux de mots. Comme une chanson à boire avec en prime une morale destinée à consoler ironiquement tous les coeurs brisés.

Ein Jüngling liebt ein [Mädchen,]
Die hat einen andern erwählt ;
Der andre liebt eine andre,
Und hat sich mit dieser vermählt.

Das Mädchen [heiratet] aus Ärger
Den ersten besten Mann,
Der ihr in den Weg gelaufen ;
Der Jüngling ist übel dran.

Es ist eine alte Geschichte,
Doch bleibt sie immer neu ;
Und wem sie [just] passieret,
Dem bricht das Herz entzwei.

Un jeune homme adore une belle
Dont le cœur d’un autre s’éprit ;
L’autre d’une autre demoiselle
S’éprend et devient son mari.

Alors la première, jalouse,
En son dépit, se jette au cou
Du premier venu, qu’elle épouse ;
Le jeune homme en pâtit beaucoup.

Ancienne histoire, toujours neuve,
On n’en est point scandalisé ; –
Mais quiconque en subit l’épreuve,
N’en revient que le cœur brisé.

12.« Am leuchtenden Sommermorgen »

Chant d’un matin solitaire au jardin et d’un dialogue avec les fleurs.

Am leuchtenden Sommermorgen
Geh’ ich im Garten herum.
Es flüstern und sprechen die Blumen,
[Ich aber, ich wandle stumm.]

Es flüstern und sprechen die Blumen,
Und [schaun] mitleidig mich an:
Sei [unserer] Schwester nicht böse,
Du trauriger blasser Mann.

Par un matin d’été splendide,
J’errais tout seul dans le jardin;
Les jeunes fleurs, groupe candide,
Causaient tout bas de mon chagrin.

— À notre sœur ; me dit chacune,
Avec un regard douloureux,
Cesse donc de garder rancune,
Lamentable et pâle amoureux ! —

13.« Ich hab’ im Traum geweinet » (En pleurant j’ai rêvé, ma belle)

Rêverie aux accord plaqués de manière funèbre comme autant de chagrins. Il s’agit d’un rêve parlant de larmes et de trahisons.

Ich hab’ im [Traum] geweinet,
Mir träumte, du lägest im Grab.
Ich wachte auf, und die Träne
Floß noch von der Wange herab.

Ich hab’ im Traum geweinet,
Mir träumt’, du verließest mich.
Ich wachte auf, und ich weinte
Noch lange bitterlich.

Ich hab’ im Traum geweinet,
Mir träumte, du [wär’st mir noch] gut.
Ich wachte auf, und noch immer
Strömt meine Tränenflut.

En pleurant j’ai rêvé, ma belle,
Que la mort éteignait tes jours;–
Quand cette vision cruelle
Disparut, je pleurais toujours.

En pleurant j’ai rêvé, ma chère,
Que tu trahissais nos amours ; —
Quand l’aube éveilla ma paupière,
Mes pleurs amers coulaient toujours.

J’ai rêvé que ta vie entière
Me gardait un cœur sans détours ; —
Mes yeux revoyant la lumière
Pleuraient, pleuraient, pleuraient toujours.

14.« Allnächtlich im Traume » (Chaque nuit je revois tes charmes)

On retrouve l’écriture musicale des Jeux d’Enfants de Schumann avec une candeur étonnée. La peine est si tristement contenue qu’elle devient une berceuse de douleur.

Allnächtlich im Traume seh’ ich dich
Und sehe dich freundlich grüßen,
Und laut aufweinend stürz’ ich mich
Zu deinen süßen Füßen.

Du [siehst] mich an wehmütiglich
Und schüttelst das blonde Köpfchen;
Aus deinen Augen schleichen sich
Die Perlentränentröpfchen.

Du [sagst] mir heimlich ein leises Wort
Und gibst mir den Strauß von Zypressen.
Ich wache auf, und der Strauß ist fort,
[Und das] Wort hab’ ich vergessen.

Chaque nuit je revois tes charmes
Dans un rêve où tu me souris;
Je tombe à genoux, et mes larmes
Vont arroser tes pieds chéris.

Les yeux en pleurs, dans les ténèbres
Secouant l’or de tes cheveux
Tu me tends des bouquets funèbres
Que saisissent mes doigts nerveux.

Tu me dis tout bas à l’oreille
Un mot magique; — ouvrant les yeux,
Je cherche en vain, quand je m’éveille,
Cyprès et mot mystérieux.

15.« Aus alten Märchen winkt es » (Les vieux contes charmant nos veilles)

Le poète évoque un pays lointain consolateur hélas rendu inaccessible par l’inexorable réalité.

Aus alten Märchen winkt es
Hervor mit weißer Hand,
Da singt es und da klingt es
Von einem Zauberland ;

Wo bunte Blumen blühen
Im gold’nen Abendlicht,
Und lieblich duftend glühen,
Mit bräutlichem Gesicht ;

Und grüne Bäume singen
Uralte Melodei’n,
Die Lüfte heimlich klingen,
Und Vögel schmettern drein ;

Und Nebelbilder steigen
Wohl aus der Erd’ hervor,
Und tanzen luft’gen Reigen
Im wunderlichen Chor ;

Und blaue Funken brennen
An jedem Blatt und Reis,
Und rote Lichter rennen
Im irren, wirren Kreis ;

Und laute Quellen brechen
Aus wildem Marmorstein.
Und seltsam in den Bächen
Strahlt fort der Widerschein.

Ach, könnt’ ich dorthin kommen,
Und dort mein Herz erfreu’n,
Und aller Qual entnommen,
Und frei und selig sein !

Ach! jenes Land der Wonne,
Das seh’ ich oft im Traum,
Doch kommt die Morgensonne,
Zerfließt’s wie eitel Schaum.

Les vieux contes charmant nos veilles
Parlent en langage ingénu,
D’un beau pays, plein de merveilles,
Qui reste à la terre inconnu,

On y voit, d’amour languissantes,
L’une vers l’autre se penchant,
De grandes fleurs éblouissantes,
Se bercer dans l’or du couchant.

Les arbres, dans un chœur féerique,
Mêlent leurs chants mélodieux
Aux sources d’où sort la musique
D’un orchestre fait pour les dieux.

Des chansons d’amour enivrantes,
Vibrant sur un mode enchanté,
Passent dans l’air, si délirantes,
Qu’on en pleure de volupté.

Pour rendre à mon cœur solitaire
La joie impossible à troubler,
Dans ce pays, loin de la terre,
Que ne puis-je enfin m’en aller !

Ce pays merveilleux en rêve
Bien souvent m’apparaît, la nuit ;
Mais, hélas! quand le jour se lève,
Comme une ombre il s’évanouit !

16.« Die alten, bösen Lieder » (Chants d’amour, tourments de mon âme)

Le cycle se clôt sur une fin tragique. Le poète ne pouvant survivre sans son amour est condamné à mourir.

Die alten, bösen Lieder,
Die Träume [schlimm] und arg,
Die laßt uns jetzt begraben,
Holt einen großen Sarg.

Hinein leg’ ich gar manches,
Doch sag’ ich noch nicht, was ;
Der Sarg muß sein noch größer,
Wie’s Heidelberger Faß.

Und holt eine Totenbahre,
[Von Brettern] fest und dick;
Auch muß sie sein noch länger,
Als wie zu Mainz die Brück’.

Und holt mir auch zwölf Riesen,
Die müssen noch stärker sein
Als wie der [heil’ge] Christoph
Im Dom zu Köln am Rhein.

Die sollen den Sarg forttragen,
Und senken ins Meer hinab;
Denn solchem großen Sarge
Gebührt ein großes Grab.

Wißt ihr, warum der Sarg wohl
So groß und schwer mag sein?
Ich [legt’] auch meine Liebe
Und meinen Schmerz hinein.

Chants d’amour, tourments de mon âme,
Espoirs trompés, rêves en deuil,
La tombe est là qui vous réclame ;
– Que l’on m’apporte un grand cercueil !

Pour garder la relique sainte
Que j’y voudrais mettre à couvert,
Il faut qu’il ait plus vaste enceinte
Que le tombeau de Heidelberg.

En bois de forte résistance
Hâtez-vous de faire achever
Plus long que le pont de Mayence,
Un brancard pour le soulever.

Invitez à cette besogne
Douze Titans, frères d’airain
Du Saint-Christophe de Cologne,
Dans le grand dôme au bord du Rhin.

Ils descendront leur lourde charge
Dans la mer au gouffre béant :
Il faut une fosse aussi large
Pour couvrir le coffre géant.

Ce grand cercueil est nécessaire ;
Car, apprenez que sans retour.
Dans sa nuit profonde il enserre
Et ma souffrance et mon amour!