L’infaillible remède du Christ-Apothicaire

« Le Restaurant qui pour mort rend la vie », miniature issue des Chants royaux sur la Conception, couronnés au puy de Rouen de 1519 à 1528, entre 1501-1600, BnF, miniature sur vélin (fol.82v) ©BnF, Département des Manuscrits

La Bibliothèque nationale de France a numérisé le magnifique manuscrit des Chants royaux sur la Conception, couronnés au puy de Rouen de 1519 à 1528, qui rassemble une série d’hommages à la Vierge et au Christ sous la forme de poèmes accompagnés de miniatures enluminées d’une grande délicatesse. L’une d’entre elles frappe par l’originalité de son iconographie, très rarement représentée : il s’agit d’Adam et Ève venant chercher auprès du Christ-Apothicaire la recette du Salut (voir dans le manuscrit en ligne).

Le peintre-enlumineur nous fait entrer dans la boutique d’un apothicaire de la fin de l’époque médiévale au moyen d’une vignette entourée d’un cadre architectural, dont le décor raffiné témoigne de l’influence italienne sur l’art français avec ses rinceaux, ses feuillages et ses colonnes bleues et roses en alternance surmontées de chapiteaux animaliers. Le premier plan est occupé par des pavés, comme si nous apercevions la scène depuis la rue mais le mur de la façade a été supprimé par le peintre-omniscient. Il a toutefois conservé l’espace de la porte, évoqué par le passage qui traverse l’échoppe en creusant la perspective encore hésitante. Le spectateur est invité à contempler la scène étonnante qui se déroule sous ses yeux.

Nous distinguons à gauche, derrière un comptoir de bois, le Christ-Apothicaire auréolé vêtu d’une tunique bleue rehaussée de reflets dorés, tenant une plume taillée avec laquelle il écrit de la main droite une ordonnance sur un parchemin. D’un air bienveillant il regarde Adam et Ève qui se tiennent nus au milieu de la pièce, debout sur les carreaux marbrés de rouge, de vert et de blanc. Tels deux malades désemparés, pris de fièvre et de langueur, ils viennent chercher le médicament qui les guérira. Jésus, médecin des âmes, rend le Salut à la Nature humaine symbolisée par les époux déchus. Avec un grand sens réaliste, et non sans humour, l’enlumineur a pris soin de décrire minutieusement l’apothicairerie divine propre, et impeccablement tenue. Bien organisée, rien ne semble y manquer ! Elle est remplie de bocaux étiquetés, de boîtes rangées et d’instruments alignés.

En quoi consiste la recette infaillible en laquelle Adam et Ève mettent toute leur espérance ? Le poème de cinq strophes avec envoi qui accompagne l’illustration nous en révèle les ingrédients. L’auteur transpose avec habileté dans son texte la médecine médiévale basée sur l’analyse des humeurs et le recours à l’herboristerie mais aussi la théologie du Salut chrétien. Il imagine une extraordinaire formule qui mélange des plantes employées dans la pharmacopée traditionnelle à l’image du Chardon béni (Cnicus benedictus)  et de la poudre du Sceau de Salomon (Polygonatum multiflorum) avec les vertus chrétiennes comme « l’eau de vie vendue en liqueur » ou encore l’« huile de grâce ». Par cette comparaison très concrète qui mêle le naturel et le surnaturel, il rappelle que si nous sommes invités à prier le Sauveur pour notre santé corporelle, nous sommes également invités à nous tourner vers cet Apothicaire pour notre santé spirituelle.

Nous lisons dans le poème en vieux français lié à l’enluminure que Jésus-Christ est surnommé le « Restaurant qui pour mort rend la vie ». Cette ancienne expression demeure parfaitement compréhensible au XXIe siècle : le Fils de Dieu, expert en Charité, est celui qui « restaure » (du latin restaurare, c’est-à-dire « renouveler, rebâtir, réparer, refaire »). Il relève l’humanité comme le médecin soigne les corps, prescrivant avec autorité et bonté la recette infaillible de la guérison intérieure. Ainsi, puisque nous nous empressons d’acheter des médicaments auprès du pharmacien quand notre corps est malade, il nous faut consulter avec la même vigueur le Christ-Apothicaire qui a la science du Salut quand notre âme est souffrante car le remède de la Grâce ne s’épuise jamais dans l’officine de son Cœur.

©GLSG, article publié dans la rubrique Art et Foi, in Chemin d’Éternité, Revue du Sanctuaire Notre-Dame de Montligeon, n°293, Juillet/Août 2019, pp.26-27.