Le Fils Prodigue et le Père-Prodige. Une parabole picturale de Pompeo Batoni.

Pompeo Batoni (1708-1787) Le Retour du Fils Prodigue, huile sur toile
©Vienne, Kunsthistorisches Museum

Peintre italien du XVIIIe siècle, Pompeo Batoni (1707-1787) est célèbre pour ses portraits mais aussi pour ses peintures religieuses qui intègrent la leçon du Baroque et celle du Classicisme. Le pape Pie VI le choisit pour faire son portrait juste après son élection pontificale en 1775. Son atelier à Rome est visité par de nombreux artistes et amateurs de l’Europe entière. Dans une œuvre remarquable, Pompeo Batoni représente une scène issue de la parabole de l’évangile de saint Luc (15 ; 11-32) : Le Retour du Fils Prodigue.

Des ténèbres surgit le Père, debout, presque royal dans son manteau de velours carmin bordé de fourrure blanche et fermé par un bijou serti d’une pierre précieuse rouge qui ressemble à un rubis taillé en table. Une lourde chaîne d’or orne sa poitrine. Un turban de tissu fin entoure sa tête ceinte d’un diadème. La richesse de son vêtement contraste avec la nudité du fils repentant qui vient se blottir contre son cœur. Le spectateur, rendu directement témoin de la scène, comprend aisément que le jeune homme, qui a dilapidé sa fortune, n’a plus de quoi se vêtir. Sa beauté et sa fine musculature rappellent la noblesse de ses origines mais il ressemble à un mendiant. On distingue à sa ceinture une sébile avec laquelle il a certainement demandé l’aumône. Agenouillé, les yeux baissés, les mains en prière, il implore et semble pleurer la gravité des fautes commises. Sa jeunesse fait écho au sage visage du vieillard barbu. Le peintre se focalise sur l’instant unique de la componction, au moment de la prise de conscience du péché mais plus encore de la puissance de l’amour du Père qui accueille pleinement le repentir du pécheur. Quelle dignité dans cette œuvre qui illustre l’incommensurable bonté de Dieu envers l’homme !

On parle beaucoup du Fils Prodigue, mais en vérité, il faudrait plus encore souligner les vertus du « Père-Prodige » qui pardonne alors qu’il avait toutes les raisons de chasser de chez lui cet enfant ingrat. À cet égard, le tableau rempli d’émotion de Batoni lui rend justice, célébrant ce que nous pourrions appeler le Magnificat du Père dont l’amour « s’étend d’âge en âge » comme il étend son manteau largement, ouvrant son sein avec générosité. Ce vêtement est rouge comme le même sang circule dans les veines du père et du fils. Au rouge de la Charité, s’ajoutent le vert de l’Espérance de la tunique et le blanc de la Foi du liseré de fourrure, transformant cette œuvre en métaphore colorée des vertus théologales ici exaltées en plénitude. Ainsi, « déployant la force de son bras, il disperse les superbes et renvoie les riches les mains vides » : le Père déplie son vêtement et montre que la vraie richesse réside dans l’élévation des humbles, l’accueil des repentants et des affamés. Sa main redresse comme Dieu  « relève Israël son serviteur ».

Tout cela n’a pas été compris par le frère jaloux, invisible dans l’œuvre de Batoni mais présent dans la Parabole, qui, torturé par l’esprit de comparaison, fait des reproches à son père. La réponse de ce dernier est la suivante : « Mon enfant, tu es toujours avec moi, et tout ce que j’ai est à toi ». En effet, le frère est tous les jours dans le sein du Père mais il ne sait plus voir la beauté de cet Amour. Il est riche mais il a les mains vides, fermées. Or, il n’y a pas de pire pauvreté ni de plus grande amertume que celle du cœur qui se ferme à la voix du Seigneur par habitude de la Grâce. Aussi mieux vaut pleurer avec le Fils Prodigue que gronder avec le Frère avare, de peur de ne plus savoir nous émerveiller des prodiges du Père.

©GLSG, article publié dans la rubrique Art et Foi, in Chemin d’Éternité, Revue du Sanctuaire Notre-Dame de Montligeon, n°295, Novembre/Décembre 2019, pp.26-27.