Du sang versé jaillit la Lumière : Le martyre de saint Sérapion par le peintre Zurbarán.

Francisco de Zurbarán (1598-1664) Le Martyre de saint Sérapion, 1628-29, Hartford, Wadsworth Atheneum Museum of Art, Connecticut, huile sur toile, 120 x 103 cm ©Hartford, Wadsworth Atheneum Museum of Art

Infiniment émouvant et frappant, Le Martyre de saint Sérapion du peintre espagnol Francisco de Zurbarán est à ranger parmi les tableaux majeurs méconnus de l’art baroque. C’est à l’occasion de l’exposition-phare à Londres Le Sacré rendu réel [1], en 2009 et durant l’exposition sur Zurbarán à Bruxelles en 2014 [2] que le public a pu notamment redécouvrir cette œuvre actuellement conservée au Wadsworth Atheneum à Hartford dans le Connecticut. Daté de la première période sévillane de Zurbarán, Saint Sérapion a fait l’objet d’une restauration monumentale en 2015 qui a permis de révéler l’œuvre dans toute sa splendeur originelle.

Zurbarán est âgé de trente ans quand il achève cette toile peinte pour le couvent Notre Dame de la Merci Chaussée de Séville en 1629 [3]. L’œuvre est plus précisément destinée à la salle du De profundis où l’on exposait et où l’on veillait les moines défunts. L’artiste y représente la figure du martyr Sérapion d’Alger dans un portrait hagiographique à mi-corps. Né vers 1179 en Grande-Bretagne, Sérapion participe à la troisième croisade avec Richard Cœur de Lion avant de partir en Espagne combattre les Sarrasins dans l’armée d’Alphonse VIII de Castille. Il y rencontre saint Pierre Nolasque et décide de rejoindre en 1222 l’Ordre des Mercédaires fondé par ce dernier dont la mission est de racheter les chrétiens captifs des pirates maures et de libérer les prisonniers réduits en esclavage par les musulmans. Les mercédaires font vœux de pauvreté, de chasteté et d’obéissance auxquels s’ajoute un vœu spécial propre à leur ordre rédempteur (de Mercedem, c’est-à-dire « marché »), celui d’être prêt à se livrer en otage pour libérer les captifs. Sérapion fut amené à accomplir son vœu jusqu’au sacrifice de sa propre vie : en 1240, il s’offrit en otage à Alger comme gage de rançon pour la délivrance d’un autre prisonnier. La somme du rachat n’étant pas arrivée dans les délais impartis, les Barbaresques lui firent subir un supplice particulièrement cruel: pieds et mains liés à une croix de saint André, il fut démembré, éviscéré, puis on lui trancha le cou le 14 novembre 1240.

Représenté dans un cadrage resserré comme s’il se trouvait dans l’intimité du spectateur, saint Sérapion est endormi dans la mort, drapé dans un grand manteau blanc immaculé, les yeux clos, la tête inclinée, le corps inerte, les mains encore liées par les cordes de son supplice dont les nœuds serrent étroitement l’attache de ses poignets. On distingue l’insigne de l’Ordre de Notre-Dame-de-la-Merci sur son scapulaire. À droite apparaît un petit trompe-l’œil sous la forme d’un morceau de papier pâle à demi-déchiré avec des coins cornés sur lequel on peut lire le nom du martyr et le nom du peintre. Zurbarán propose ici une image christique saisissante en parvenant le tour de force d’ancrer dans l’œuvre la souffrance du martyr sans représenter ni aucune goutte de sang, ni aucun membre saignant, ni aucune blessure. Le tableau devrait théoriquement être peint dans les tons rouges de l’abomination mais il se veut plus proche du monochrome blanc grâce à un éclairage zénithal qui creuse les plis et les replis du manteau. La restauration de 2015 a permis d’enlever le vernis jauni par le temps et les repeints pour révéler la splendeur éclatante du blanc originel choisi par l’artiste (probablement des pigments de blanc-de-plomb).

Zurbarán prend le parti de choisir le contraste du ténébrisme et du luminisme plutôt que celui du chromatisme, pour décrire le paradoxe de l’ultime douleur habitée par l’ultime espérance du Beatus Serapius qui fut inscrit en 1743 au martyrologe romain par le pape Benoît XIV. En se focalisant sur la transfiguration surnaturelle du martyre plutôt que sur la représentation de la cruauté toute terrestre, Zurbarán fait jaillir du sang versé la Lumière du don de Soi. C’est en acceptant d’avoir été lié au bois de la Croix d’Amour avec son Sauveur, que Sérapion délie les chaînes de la haine et montre la voie victorieuse de la Rédemption. Ce puissant témoignage pictural révèle que sans le sens du sacrifice ni la force d’âme puisée dans la charité éternellement victorieuse de Jésus, la sainteté ne serait qu’un héroïsme sans lendemain.

©GLSG, article publié dans la rubrique Art et Foi, in Chemin d’Éternité, Revue du Sanctuaire Notre-Dame de Montligeon, n°301, Novembre/Décembre 2020, pp.26-27

[1] The Sacred made Real Spanish Painting and Sculpture 1600-1700 (Londres, National Gallery, 21 octobre 2099- 24 janvier 2010)

[2] Zurbarán, Maître de l’Âge d’Or Espagnol (Bruxelles, Musée des Beaux Arts, (29 janvier 2014-25 mai 2014)

[3] Actuel Museo de Bellas Artes