Marie, l’Architecture du Salut, une image théologique de Jan van Eyck

Jan van Eyck (c.1390-1441) La Vierge dans une église, v.1438-40, huile sur panneau de chêne, 31×14 cm ©Berlin, Gemäldegalerie

Le peintre flamand Jan van Eyck (c.1390-1441) est renommé pour son célèbre retable de L’Agneau mystique de la cathédrale Saint-Bavon de Gand achevé en 1432. Moins connu est le panneau minutieux qu’il a conçu de La Vierge dans une égliseconservé à la Gemäldegalerie de Berlin. Cette oeuvre appartenait très certainement à un diptyque, aujourd’hui démembré, qui présentait sur l’autre volet un donateur en prière. L’artiste y expose une somptueuse théologie mariale s’enracinant dans la mystique médiévale. 

Ce tableau de petite dimension, proche de la miniature, représente d’une façon assez inhabituelle une grande Vierge à l’Enfant richement couronnée, dont la silhouette disproportionnée habite la nef d’une vaste église comme une statue monumentale. À l’arrière-plan, l’on distingue une sculpture encadrée de deux cierges allumés évoquant la dévotion mariale de l’époque comme deux contrepoints flamboyants aux deux anges lovés sous le jubé qui chantent des cantiques. L’architecture qui sert ici d’écrin affirme les grands principes du style gothique : piliers, ogives, arcs, tribunes, vitraux et jubé. Marie apparaît en reine vêtue de fastueux atours, portant une robe rouge sang symbolisant la terre et un manteau-cape d’un bleu profond d’outremer symbolisant le ciel qui l’obombre. Au bas de sa robe des lettres d’or latines sont délicatement brodées, formant très probablement les mots Sol (Soleil) et Lux (Lumière). Sur ses longs cheveux blonds déployés repose une immense couronne d’or, de perles, de rubis et de saphirs qui scintillent en révélant les arabesques d’un précieux travail d’orfèvrerie. Elle tient d’un geste gracieux, avec tendresse, l’Enfant-Jésus nu, à demi-enveloppé dans un linge blanc. La simplicité du nouveau-né contraste avec le luxe de l’apparence de la Vierge : peut-on y lire déjà la symbolique du corps dénudé du Christ mort qui sera remis à Sa Mère avant d’être déposé dans son linceul ? On devine une alliance à son annulaire gauche. D’ailleurs, il est d’usage de lire dans ce tableau un symbole de l’Alliance de Dieu et des hommes à travers la conception miraculeuse du Christ : de même que la lumière jaillit des vitraux à gauche de la scène et se pose sur la Madone, le Christ s’est incarné en Marie comme un rayon de soleil traverse le verre sans le briser.

L’église gothique, architecture féminine est intimement associée au corps marial, matrice qui se fait à la fois l’écho de l’Incarnation charnelle du Christ et l’écho de l’enfantement spirituel des croyants. Ce parallèle théologique s’exprime pleinement dans l’image de van Eyck qui nous montre avec la grande noblesse de son pinceau que Marie est l’Architecture du Salut voulue par l’Architecte de la Miséricorde. Ces principes sont cités dans les litanies de Lorette qui comprend plusieurs métaphores singulièrement architectoniques : « Temple de l’Esprit Saint », « Tabernacle de la gloire éternelle », « Demeure toute consacrée à Dieu », « Tour de David », « Tour d’ivoire », « Maison d’or », « Porte du ciel ». La description mariale de van Eyck offre de façon catéchétique une mise en exergue très originale du principe de pierre et du principe de chair qui inspirent et animent la construction des cathédrales. Le corps de la Vierge engendre le Christ comme l’église abrite la Présence Réelle. Le tabernacle qui cache l’hostie rappelle en filigrane le Sein de celle qui donna au monde le « fruit de ses entrailles » car elle avait attiré Dieu par la clef de voûte de son humilité comme le rappelle saint Bernard de Clairvaux (1090-1153)« Afin donc que celle qui devait concevoir le Saint des saints et lui donner le jour, fût sainte de corps, elle reçut le don de la virginité, et, pour qu’elle le fût d’esprit, elle reçut celui de l’humilité. Parée des précieux joyaux de ces deux vertus, brillant d’un double éclat dans son corps et dans son âme, comme jusque dans les Cieux pour son aspect et sa beauté, la royale Vierge attira sur elle les regards des citoyens du ciel, inspira même au cœur du Roi des Cieux, le désir de la posséder, et mérita qu’il lui envoyât d’en haut un céleste messager(1) » 

Puissions-nous ne jamais mépriser une seule église si petite soit-elle car elle est une Jérusalem Céleste à chaque fois que Jésus-Hostie est en son tabernacle, comme la chair de la Mère ne fait qu’une avec celle de son enfant. Puissions-nous comprendre que si le Verbe s’est rendu visible par le corps de Marie, c’est pour mieux visiter nos cœurs, souvent plus faits de pierre que de chair ! Alors, à l’image des ouvriers qui montaient sur leurs échafaudages pour sceller les solides blocs des cathédrales, nous gravirons les degrés de cette « Échelle par qui Dieu descendit du Ciel » afin de cimenter notre Foi. Ainsi, nous dessinerons notre Salut en nous soumettant au compas sans défaut de l’Architecte Divin qui fit naître la Rosace de la Grâce et naquit lui-même de la Rose mystique.

©GLSG, article publié dans la rubrique Art et Foi, in Chemin d’Éternité, Revue du Sanctuaire Notre-Dame de Montligeon, n°303, Mars/Avril 2021, pp.26-27

(1) Seconde Homélie sur les Gloires de Marie