Saint Augustin, l’évêque au cœur qui flamboyait

 
Philippe de Champaigne, Saint Augustin, v.1645-50, huile sur toile, 94x77cm ©Los Angeles, County Museum of Art

Durant le Grand Siècle, le peintre et graveur Philippe de Champaigne (1602-1674), artiste de l’École française d’origine brabançonne, s’illustre par ses nombreux portraits classiques. Il met aussi souvent ses pinceaux au service de tableaux de dévotion qui abordent des sujets bibliques ou hagiographiques. Ainsi, son œuvre Saint Augustin, conservée à Los Angeles, témoigne de son sens de la composition, de sa maîtrise des coloris et de ses qualités d’invention. Il parvient à donner au saint une stature exceptionnelle : celle de l’Évêque d’Hippone doublée de celle du converti des Confessions dont le cœur s’est soudain enflammé dans le jardin de Milan.

Entrons dans le bureau d’étude d’Augustin d’Hippone (354-430). Le regard est immédiatement attiré par la figure du saint assis face à un manuscrit, saisi dans le mouvement de l’inspiration divine. Sa plume, tout juste sortie de son encrier, est suspendue dans sa main droite, le bout noirci comme si des gouttes d’encre allait tomber sur le sol.  Sa main gauche tient un cœur rouge enflammé qui semble battre, bien vivant. Les flammes qui l’entourent dansent dans la même direction en suivant une diagonale qui passe par sa tête auréolée jusqu’à un soleil rayonnant en haut à gauche de la toile. 

Guidés par le regard vif et luisant du saint, nous lisons dans l’écriteau céleste le mot suivant : « VERITAS » : la Vérité ! La couleur éclatante de ce soleil ovale rappelle les tons chauds et dorés de sa chape. Celle-ci est richement brodée de figures évangéliques dont celles de saint Pierre et saint Paul de part et d’autre du fermail qui contient un portrait circulaire du Christ. L’évêque d’Hippone est déjà avancé en âge car il est montré ici portant une longue barbe grisonnante, le front barré de rides et son crâne apparaissant sous un début de calvitie.

Philippe de Champaigne introduit plusieurs éléments de sa propre époque dans la représentation du saint philosophe et des objets qui l’entourent. À droite, la table à entretoise qui lui sert de bureau est recouverte d’un tapis précieux, comme c’était souvent l’usage au XVIIsiècle dans les milieux aisés sinon lettrés. À gauche, se dresse un grand lutrin en bois sculpté sur lequel repose une Bible dont une page est cornée avec familiarité. Derrière la crosse et la mitre, les étagères remplies de livres à l’arrière-plan indiquent que nous sommes très probablement dans un cabinet d’étude. Saint Augustin est entouré de livres épais et de rouleaux de parchemins qui mettent en valeur sa stature d’intellectuel, non sans une certaine théâtralité à l’image des rideaux verts dont les plis creusent la perspective. Certains ouvrages font partie du décor, d’autres sont tout à fait symboliques comme ceux qui sont foulés à ses pieds et sur lesquels sont inscrits les noms de Caelestius(Célestius), Pelagius (Pélage) et Iulianus (Julien d’Éclane) dont il n’a cessé de réfuter les doctrines hérétiques après sa conversion foudroyante en 386.

Nous sommes mis en présence de la Grâce agissante dans l’âme de celui qui s’adonne à la contemplation de la Vérité. Augustin a été toute sa vie un ardent amoureux de cette dernière comme on peut le lire dans son célèbre ouvrage Les ConfessionsHomme de désir, il la cherche toute sa vie, d’abord par la philosophie puis par la théologie, passant de l’amour de la sagesse à l’amour du Dieu incarné qu’il va défendre à travers ses nombreux sermons et écrits dominés par la notion d’illumination : la beauté de la Vérité éblouit l’esprit et entraîne le cœur au Bien pour que l’âme s’y conforme sur terre en vue du Ciel. Cette lumière est apaisante et dissipe le doute comme il l’écrit avec passion : « Ô éternelle vérité, ô véritable charité, ô chère éternité ! Tu es mon Dieu. Vers toi je soupire, jour et nuit. Dès que je t’ai connue, tu m’as soulevé vers toi pour me faire voir qu’il me restait infiniment à voir, sans que j’eusse encore les yeux pour voir. »

Philippe de Champaigne montre aux fidèles un exemple digne d’intérêt, celui de l’incroyant devenu croyant, celui de l’habile rhéteur transformé en pasteur, celui d’un sceptique devenu Père de l’Église. Modèle pour les évêques, Augustin a pu défendre la foi chrétienne avec la plume de l’écriture car il avait le cœur qui flamboyait pour verser les douceurs de la charité brûlante dans les cœurs tièdes. Ses paroles comme l’art de Philippe de Champaigne insistent à jamais sur la puissance du cœur quand il est animé par le désir de Dieu : « La charité qui se refroidit, c’est le cœur qui se tait ; la charité qui brûle, c’est le cœur qui crie ». 

©GLSG, Contribution à la revue Chemin d’Éternité – Rubrique Art et Foi, n°305, Juillet/Août 2021, pp.26-27