Sainte Véronique, témoin de la Passion transfigurée

Mattia Preti (1613-1699) Sainte Véronique au voile, 
v.1652-53, huile sur toile, 100.33 × 74.93 cm ©Los Angeles, County Museum of Art

Peintre italien de l’époque baroque redécouvert à la fin du XXe siècle, Mattia Preti a effectué de nombreux tableaux religieux parmi lesquels la Sainte Véronique au voile qui témoigne de sa technicité picturale autant que de sa sensibilité mystique. Cette œuvre méconnue a fait partie des collections de deux grandes familles romaines du XVIIe siècle, les Barberini et les Colonna. Elle nous invite à méditer sur l’un des miracles de la Passion du Christ, qui rendit populaire le prénom et l’histoire de Véronique, du latin lui-même issu du grec ancien : « vera » (vraie) et « icon » (image).

Nous voilà au cœur d’une action poignante. Le spectateur est témoin direct de la douleur d’une femme et d’un miracle, non cités dans les évangiles mais transmis depuis toujours par la Tradition. Dès les premiers siècles, le souvenir de la mystérieuse Véronique apparaît dans les textes et dans les arts. Présente à Jérusalem quand le Christ porte sa croix, elle tend un linge pour essuyer son visage. Quand elle retire le tissu, les traits du Christ restent imprimés dans les fibres. Cette relique sacrée devient inséparable de la foi de Véronique, au point qu’elle est évoquée chaque année durant le temps pascal lors de la lecture de la sixième station du chemin de croix : « Sainte Véronique essuie la face de Jésus ». 

Le peintre Mattia Preti semble avoir isolé Véronique en la sortant de la foule pour se concentrer sur cette figure, en abolissant en quelque sorte tout le reste du monde autour d’elle. Elle est placée de telle sorte que le spectateur la voit grâce à un habile procédé de perspective raccourcie selon l’expression italienne « di sotto in sù » (de haut et en dessous) ce qui confère à sa figure une grande force d’expression. Richement vêtue, elle est couverte d’un manteau soyeux blanc brodé d’arabesques dorées creusé en larges plis sur une robe couleur bleu céleste. Son visage, encadré par un grand voile transparent, laisse apparaître ses yeux clairs embués de larmes. Plusieurs larmes perlent aussi sur ses joues. Ses mains tiennent d’un geste gracieux une pièce de tissu sur laquelle apparaît le visage de la Sainte-Face que le sang semble transfigurer. On imagine que cette femme, prise de pitié, a soudainement laissé glisser de ses épaules son écharpe blanche entourée d’un liseré bleu pour accomplir son geste généreux, car l’un des coins est encore noué sur sa poitrine. Le fond noir renforce le pathétisme et la théâtralisation de la scène, entre ombres et lumières. Une copie attribuée à Giuseppe Bartolomeo Chiari (1654-1727) montre  en haut de l’arrière-plan la colline du Calvaire où se dressent trois croix, laissant à penser que la masse noire derrière la sainte représente le lieu de la crucifixion[1].

Que regarde Véronique ? Le ciel ? Est-elle debout ? À genoux ? Le cadrage qui coupe son corps laisse l’esprit s’interroger sur le sens de l’action. On sait seulement qu’elle vient d’essuyer le visage du Christ. A-t-elle vu le miracle et lève-t-elle les yeux vers le ciel avec de la gratitude et des larmes d’émotion ? Est-elle encore ignorante de ce qui vient de se passer et simplement touchée par la figure du supplicié qu’elle vient de soutenir ? Peu importe à vrai dire. Ce qui retient l’attention de l’artiste Mattia Preti c’est de montrer une rencontre, celle d’une femme au grand cœur et celle d’un Dieu condamné à mort. Il veut saisir le moment unique durant lequel Véronique a croisé le regard de Jésus sur la route de l’affliction. Nous ne voyons ce dernier que par le biais du linge qu’elle tend vers le spectateur en témoin, comme un jeu de miroir.

Le Christ poursuit encore son chemin vers le Calvaire. Il marche sous les huées et les crachats du monde. Puisse l’Homme de Souffrance trouver sur son chemin des âmes ardentes et diligentes qui prennent pitié de Lui et essuient son visage dans celui de leurs frères et sœurs. Alors Celui qui regarda Véronique et posa son visage défiguré au creux de ses mains consolatrices, imprimera peu à peu ses traits dans leurs cœurs comme une trace indélébile et sacrée.


©GLSG, Contribution au n°307 de Chemin d’Éternité – Rubrique Art et Foi, Novembre/Décembre 2021, pp.26-27 

[1] Musée Martin von Wagner, université de Würzburg