Fra Angelico, l’âme d’un peintre

Paul Hippolyte Flandrin (1856-1921) Fra Angelico visité par les anges, 1894, huile sur toile, 251 × 201 cm ©Rouen, Musée des Beaux-Arts 

Fils du peintre Hippolyte Flandrin, Paul Hippolyte Flandrin expose au Salon des artistes français de 1894 son œuvre Fra Angelico visité par les anges, qui montre l’influence stylistique de son père, auteur des fresques de l’église Saint-Germain des Prés à Paris. Peintre méconnu de la Belle Époque, il se spécialise dans les portraits, la décoration et l’art sacré. Dans cette œuvre, il représente l’artiste du XVe siècle qui, selon le témoignage du peintre Giorgio Vasari (1511-1574) « ne peignait jamais un crucifix sans que les larmes coulent le long de ses joues »

Nous voilà placés dans l’une des cellules du Couvent Saint-Marc à Florence comme si nous assistions à l’élaboration de l’une des nombreuses fresques qui ornent les pièces de ce haut-lieu de l’art occidental. Sur un échafaudage de planches sommaires, à droite du tableau, Fra Angelico (v.1395-1455) est agenouillé, cachant son visage dans sa main droite. Il pleure face à l’esquisse ébauchée de la Crucifixion sur le mur. Il a suspendu un instant son geste de peintre : sa palette et ses pinceaux demeurent inutilisés dans sa main gauche. Il porte l’habit de l’ordre dominicain auquel il appartient. Un manuscrit relié est posé près de lui, laissant à penser qu’il s’agit de prières ou de textes sacrés. À ses côtés, l’on distingue des pots de pigments ainsi qu’une cuve remplie de mortier qui l’aidera à préparer l’enduit sur lequel il posera ses couleurs. Par un subtil jeu d’illusion, le tableau de Flandrin semble lui-même imiter la pureté des lignes et les tons pâles de la fresque alors qu’il est pourtant peint à l’huile.

Flandrin aurait pu se contenter de représenter Fra Angelico seul face à son travail mais, comme s’il voulait souligner l’aspect surnaturel de la scène et l’aura du « peintre des anges », il choisit d’inclure quatre anges auréolés dans l’embrasure de la porte. Ces derniers observent avec une curiosité mêlée de compassion l’attitude de cet homme à genoux au pied de la croix qu’il est en train de réaliser. Respect, contemplation et émotion les animent de même qu’ils pénètrent aussi le cœur du spectateur. De quelle trempe est donc faite l’âme de ce peintre pour que même les anges n’osent s’approcher de lui qu’avec crainte et s’agenouillent à leur tour ? Ce que nous montre Fra Angelico, par l’intermédiaire de Flandrin, est que nul ne peut approcher le mystère de la Crucifixion sans une âme bouleversée de même que le peintre des anges s’anéantissait devant son sujet comme s’il se sentait indigne de le peindre. Face à l’abaissement de son Dieu, quel autre don que celui de ses larmes lui semblait possible ? Et comment les anges resteraient-ils indifférents à l’effroi d’un peintre qui craint de représenter Celui à qui il doit tout ?

Quand les épreuves s’esquissent sur le mur de nos existences, souvenons-nous de Fra Angelico qui s’agenouillait, pleurait et offrait au Christ son âme remplie d’humilité, avant de se lever avec force pour peindre le Sauveur et le donner à voir à tant de générations après lui. Alors des anges surgiront toujours pour nous guider et nous consoler comme ils ont accompagné Fra Angelico dans les doutes de son art. Vasari nous dit encore que ce dernier achevait ses œuvres sans jamais les reprendre: « Jamais ne retoucha-t-il ou ne restaura-t-il aucune de ses œuvres ; il les laissa toujours sous leur forme originelle car il croyait que telle était la volonté du Seigneur. » L’humilité ne se trompe jamais.

©GLSG, Contribution au n°309 de la revue Chemin d’Éternité – Rubrique Art et Foi, Mars/Avril 2022, pp.20-21