« Tant que mes yeux pourront larmes épandre », le Sonnet XIV de la poétesse Louise Labé

 

Portrait de Louise Labé in Étude biographique et bibliographique sur Claudius Brouchoud, Félix Desvernay, 1887 ©BnF, Gallica

Tant que mes yeux pourront larmes épandre,
À l’heur passé avec toi regretter :
Et qu’aux sanglots et soupirs résister
Pourra ma voix, et un peu faire entendre :

Tant que ma main pourra les cordes tendre
Du mignard Luth, pour tes grâces chanter :
Tant que l’esprit se voudra contenter
De ne vouloir rien fors que toi comprendre :

Je ne souhaite encore point mourir.
Mais quand mes yeux je sentirai tarir,
Ma voix cassée, et ma main impuissante,

Et mon esprit en ce mortel séjour
Ne pouvant plus montrer signe d’amante :
Prierai la Mort noircir mon plus clair jour.

Louise Labé (v.1524-1566) Sonnet XIV

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Tant que mes yeus pourront larmes eſpandre,
À l’heur paſsé auec toy regretter :
Et qu’aus ſanglots & ſoupirs reſiſter
Pourra ma voix, & un peu faire entendre :

Tant que ma main pourra les cordes tendre
Du mignart Lut, pour tes grâces chanter :
Tant que l’eſprit ſe voudra contenter
De ne vouloir rien fors que toy comprendre :

Ie ne ſouhaitte encore point mourir.
Mais quand mes yeus ie ſentiray tarir,
Ma voix caſſee, & ma main impuiſſante

Et mon eſprit en ce mortel ſeiour
Ne pouuant plus montrer ſigne d’amante :
Priray la Mort noircir mon plus cler iour.