Fugacité du papillon, volatilité de la bulle, cruauté de la faux…

(Cette conférence a été donnée le samedi 4 juin 2016 dans le cadre de l’Université de Printemps sur le thème « Chronologies, chrononymies et autres figures du temps », au sein du Festival d’Histoire de l’art de Fontainebleau*.)

NT; (c) Kingston Lacy; Supplied by The Public Catalogue Foundation

fig.1 Paul Véronèse (1528-1588) La Création des Éléments : Chronos et Cybèle, Zeus, Héra et Poséidon, huile sur toile ©National Trust, Kingston Lacy

1/ Représentations et mythologies du Temps 

  • Chronos

« Et moi qui me débats contre le temps, moi qui cherche à lui faire rendre compte de ce qu’il a vu, moi qui écris ceci si loin des évènements passés (…) que suis-je entre les mains de ce Temps, de ce grand dévorateur des siècles que je croyais arrêtés, de ce Temps qui me fait pirouetter dans les espaces avec lui? » Chateaubriand (1)

Ainsi Chateaubriand évoque le Temps, « grand dévorateur des siècles », en faisant implicitement allusion au grand mythe antique de Chronos, le plus jeune fils d’Ouranos (Ciel) et de Gaia (Terre). Il épouse sa sœur Rhéa mais un oracle lui prédit qu’il sera renversé par ses propres enfants. Il avale donc ses trois filles et ses deux fils dès leur naissance.

Claude Mellan (1598-1688) Bandeau orné de la tête de Chronos, 2e quart du 17e siècle, estampe ©musée des Beaux-Arts, Nancy

fig.2 Claude Mellan (1598-1688) Bandeau orné de la tête de Chronos, 2e quart du XVIIe siècle, estampe ©musée des Beaux-Arts, Nancy

Rhéa arrive à cacher Zeus et donne à manger, à « dévorer »  une pierre emmaillotée à son époux. Devenu adulte, Zeus fait régurgiter ses frères et sœurs aînés. Tous déclarent la guerre à Chronos qui est relégué pour l’éternité dans le Tartare sous la terre. Ainsi, les récits antiques donnent une forme humaine au Temps. Les artistes vont aussi user de l’anthropomorphisme pour aborder ce thème universel.

Pierre Mignard (1612-1695) Le Temps coupant les ailes de l'Amour, 1694, huile sur toile, collection particulière (présenté à l’exposition Carambolages au Grand Palais, 2 mars-4 juillet 2016)

fig.3 Pierre Mignard (1612-1695) Le Temps coupant les ailes de l’Amour, 1694, huile sur toile, collection particulière (présenté à l’exposition Carambolages au Grand Palais, 2 mars-4 juillet 2016)

Comment est représenté le fameux Chronos? De nombreux décors le décrivent selon des codes immuables : image du temps, il a une tête de vieillard, une longue barbe, des ailes noires, il tient la faux impitoyable qui arrête la vie et le sablier qui calcule l’existence sans retour. Il n’est guère surprenant qu’il soit souvent assimilé aux allégories de l’hiver (tandis que les saisons du printemps, de l’été et de l’automne sont généralement représentées par le biais de jeune figures féminines). On retrouve la tête du vieillard grimaçant dans un bandeau décoratif orné de la tête de Chronos, exécuté par le graveur Claude Mellan (fig.2). Les rinceaux groupés autour du visage atténuent la rigidité du personnage environné de ses attributs, le sablier, les ailes, la barbe et les flammes qui ressemblent à des quenouilles.

Giovanni Battista Tiepolo (1696-1770) Allégorie de Vénus et du Temps, vers 1754-58, huile sur toile ©National Gallery, Londres http://www.nationalgallery.org.uk/paintings/giovanni-battista-tiepolo-an-allegory-with-venus-and-time

fig.4 Giovanni Battista Tiepolo (1696-1770) Allégorie de Vénus et du Temps, vers 1754-58, huile sur toile ©National Gallery, Londres

  • Le Temps face à l’Amour

Tempus fugit ! Le temps fuit…« O temps suspend ton vol » dit Lamartine dans son célèbre poème Le Lac. L’image du vieillard inexorable est de fait intimement liée à l’image de l’Amour, jeune enfant aux plaisirs fugaces. Leur association, comme celle d’Eros et Thanatos scande l’histoire des arts de son leitmotiv cruel,  à l’exemple du tableau de Pierre Mignard Le Temps coupant les ailes de l’Amour (fig.3). Le jeune enfant impuissant a laissé tomber son carquois, le désir s’est éteint. À la légèreté du plaisir succède la pesanteur des désillusions. Les plumes blanches s’amoncellent à terre à côté de la faux tranchante et du sablier bousculé par la barbarie du geste. L’Allégorie de Vénus et du Temps de Tiepolo (fig.4) montre le sinistre personnage dérobant Cupidon  à l’influence de Vénus dans un ciel où tournent les roues du char de la déesse comme la roue de la Fortune. La Beauté et l’Amour se ternissent aussitôt que le Temps les effleure. Ce type de grande peinture porte un double sens, décoratif en raison des modèles utilisés et de son emplacement (plafond de salon, dessus de porte, etc.), et moralisateur en raison d’un thème intimement lié à la condition humaine. La peine n’est jamais loin de la joie.

5. Agnolo Bronzino (1503-1572) Allégorie avec Vénus et Cupidon, vers 1454, huile sur toile ©National Gallery, Londres https://www.nationalgallery.org.uk/paintings/bronzino-an-allegory-with-venus-and-cupid

fig. 5 Agnolo Bronzino (1503-1572) Allégorie avec Vénus et Cupidon, vers 1454, huile sur toile ©National Gallery, Londres

La fameuse Allégorie avec Vénus et Cupidon (fig.5) de Bronzino, qui appartenait à François 1er, conservée à la National Gallery de Londres, se concentre sur la figure érotique de Vénus enlacée par Cupidon. L’Amour semble triompher, mais déjà plane la menace de la jalousie, de la folie et du Temps, reconnaissables dans les trois figures à gauche du tableau et en haut à droite.  La mollesse et la blancheur émaillée des chairs de Vénus et Cupidon contrastent avec la musculature, les corps foncés et la crispation du Temps et de ses compagnes de tristesse. À droite, la figure de la petite fille symbolise la Fourberie avec son corps hybride mi-humain, mi-serpent et le jeune enfant qui tient des roses évoque le plaisir.

Cesare Ripa (1560?-1622) « L’Amour dompté » in Iconologie ©BnF

fig.6 Cesare Ripa (1560?-1622) « L’Amour dompté » in Iconologie ©BnF

Dès la Renaissance, plusieurs traités codifient la représentation du temps et de l’Amour, dans des intentions artistiques et moralisatrices. Cesare Ripa (1555-1622), dans son Iconologie de 1593, décrit « L’Amour dompté » (fig.6) sous la forme d’un emblème illustré, accompagné d’une description précise :

« C’est un Cupidon assis, le flambeau duquel ne paraît point, et qui foule aux pieds son arc et ses flèches. Il tient de la main droit un (sic) Horloge de sable, et de la gauche l’oiseau communément appelé petit Plongeon, qui est extrêmement maigre et décharné.

Le Temps et la Pauvreté sont les deux choses les plus capables d’éteindre l’Amour. C’est à raison de cela qu’on lui met en main un (sic) Horloge, qui est le vrai symbole du Temps, par qui sont modérées les inquiétudes de l’esprit, et les passions de l’âme. Mais il remédie surtout à celle d’Amour, à cause qu’ayant pour but le jouissance d’une belle Maîtresse, il faut nécessairement que la beauté venant à se changer par le révolution des ans, le désir se change aussi, et que l’âme se tourne à d’autres pensées.

La pauvreté produit encore le même effet ; et l’expérience nous montre, qu’il n’est point d’Amant que la misère ne dompte, après que pour assouvir les folles affections il a perdu sa jeunesse, et dissipé sa meilleure substance. Ce pauvre Amour que nous décrivons ici en sert d’exemple par le chétif oiseau qu’il a sur le poing : c’est une manière de Plongeon que les Grecs appellent « Kilomos » (?), qui selon Suidas, est si chétif, que n’ayant pas la force de se faire un nid, il est contraint d’aller couver dans celui des autres oiseaux. »

L’usage de la symbolique permet de décrire les concepts dont l’art se fait le messager. Certains signes sont immédiatement décelables et reconnaissables. D’autres font appel à des codes et des connaissances, à un langage savant comme le fit Cesare Ripa.

  • La fortune des Trois Parques 
6. Guillaume Boichot (1735-1814) Les Trois Parques, 1814, dessin, plume, pierre noire, encre pastel ©musée Rollin, Autun

fig. 7 Guillaume Boichot (1735-1814) Les Trois Parques, 1814, dessin, plume, pierre noire, encre pastel ©musée Rollin, Autun

Les Trois Parques, fileuses de l’existence, inspirent de nombreux artistes, comme le musicien Johannes Brahms qui crée Le Chant des Parques (Gesange der Parzen, op.89) ou comme Guillaume Boichot qui exécute Les Trois Parques, un dessin original pour le décor de l’horloge de l’hôtel de ville d’Autun (fig.7). On distingue la première jeune parque, Clotho, qui tient la quenouille (elle préside à la naissance), la seconde parque Lachésis, d’âge mûr, tient et mesure le fil du destin (elle préside au mariage) et la troisième parque, Atropos, est une vieille femme qui tranche le fil de la vie (elle préside à la mort). La représentation des Trois Parques sert souvent de figuration-prétexte à la description des Trois âges de la femme, jeunesse, âge mûr, vieillesse. Leur grave iconographie permet de mettre en valeur le destin exceptionnel d’une personnalité, en la reliant aux mythes antiques pour mieux la glorifier, comme le fait Rubens pour Marie de Médicis dans son cycle consacré à la souveraine, Les Parques filant la destinée de Marie de Médicis (fig.8). Ici les Trois Parques, charnues et joufflues, ressemblent davantage aux Trois Grâces…

7. Pierre-Paul Rubens (1577-1640) Les Parques filant la destinée de Marie de Médicis, 1621-25, huile sur toile ©musée du Louvre, Paris

fig.8 Pierre-Paul Rubens (1577-1640) Les Parques filant la destinée de Marie de Médicis, 1621-25, huile sur toile ©musée du Louvre, Paris

Alfred Pierre Agache, peintre du XIXe siècle aborde ce sujet d’une façon plus cynique dans Les Trois Parques (fig.9) où les trois figures mythologiques, assises, ressemblent à des femmes du peuple ou à des paysannes, dans une veine plus réaliste. Elles observent avec curiosité le fil tendu par Lachésis, qu’elles contemplent d’un rictus sardonique comme des sorcières.

8. Alfred Pierre Agache (1843-1915) Les Trois Parques, 4e quart du XIXe siècle, huile sur toile ©musée des Beaux-Arts, Lille

fig.9 Alfred Pierre Agache (1843-1915) Les Trois Parques, 4e quart du XIXe siècle, huile sur toile ©musée des Beaux-Arts, Lille

  • La cruelle faux

Les ciseaux aigus d’Atropos sont cousins de la faux de Chronos ou d’Hadès, dieu des Enfers. La brutalité de la coupe renforce l’aspect irréversible du Destin. La faux accompagne les danses macabres médiévales, le geste de la moisson qui est métaphore de la mort. Son coup foudroyant suppose une violence physique sans retour, une suspension et une cassure irrémédiable du temps, comme la lame de la guillotine ou la hache du bourreau qui va faire tomber la tête sur le billot.

John Everett Millais (1829-1896) Spring (Apple Blossoms) 1859, huile sur toile ©Lady Lever Art Gallery, Liverpool

fig.10 John Everett Millais (1829-1896) Spring (Apple Blossoms) 1859, huile sur toile ©Lady Lever Art Gallery, Liverpool

Ars longa Vita Brevis, la conscience du temps qui passe et de l’incertitude de la durée du bonheur provoquent des oeuvres étranges chez de nombreux peintres à l’instar du tableau Spring, Apple Blossoms (Printemps, Sous les pommiers en fleurs, fig.10) du préraphaélite John Everett Millais, qui heurte le spectateur par sa douceur et sa cruauté hautement symboliques. Huit figures féminines en tenue d’époque victorienne boivent du thé et de la crème au milieu d’un verger de pommiers en fleurs. La scène de campagne consacrée au thème de la jeunesse, de la beauté, des fleurs et de la vie semble en apparence joyeuse et insouciante. La description de la nature est très réaliste, à tel point qu’Effie Millais, épouse du peintre se souvient que les abeilles venaient butiner les fleurs de pommier, pensant qu’elles étaient véritables ! Mais dans cet éden, un seul élément vient briser l’enchantement de la scène : à droite, une faux est suspendue au-dessus du visage d’une jeune femme allongée. Le fait qu’elle soit tenue par un personnage hors champ renforce le malaise de ce détail funeste. Millais aborde le thème de la jeune fille et la mort en proposant ici une méditation sur la brièveté de la vie et la violence inattendue de la mort qui peut survenir à tout âge, en frappant les plus jeunes, sans faire de distinction. Millais, témoin de son époque, rappelle que la mortalité était encore forte, notamment chez les jeunes personnes, à cause des diverses maladies   sans traitements efficaces : typhus, choléra, tuberculose, scarlatine, variole, etc..

Un extrait du roman Mrs Dalloway de Virginia Woolf, rappelle indirectement la sensation nostalgique de l’amour et de la beauté tranchés par la mort :

« Venue du fond des âges, de l’époque où les pavés étaient de l’herbe, où il y avait là un marécage, depuis l’époque des dents de sabre et des mammouths, l’époque des levers de soleil silencieux, cette loque humaine — c’était une femme car elle portait une jupe — la main droite tendue, la gauche agrippée à sa jupe, depuis toujours se tenait là à chanter l’amour, l’amour qui dure depuis des millions d’années, elle chantait l’amour vainqueur, et son amant, mort depuis des siècles, qui, il y a des millions d’années, s’était promené avec elle, chantonnait-elle, au joli moi de mai. Mais dans la suite des temps, longs comme un jour d’été, et tout flamboyants d’asters rouges, se rappelait-elle, il était parti ; la gigantesque faux de la mort avait fauché ces immenses collines, et quand elle finirait par poser sa tête blanchie et infiniment âgée sur la terre, qui ne serait plus qu’un résidu de glace, elle implorerait les dieux de poser à ses côtés un bouquet de bruyère pourpre, là-haut sur son tertre funéraire que caresseraient les derniers rayons du soleil. Car alors la grande parade de l’univers serait terminé. »(2)

2/ Le temps vécu, les objets de mesure du temps 

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fig.11 Nicolas Poussin (1594-1665) La danse de la vie humaine, 1634-36, huile sur toile, 82.5×104 cm, ©The Wallace Collection, Londres

Mesurer le temps est nécessaire pour mener sa vie. Une multitude d’objets et de systèmes ont été inventés pour calculer les jours, les mois, les saisons et les ans, selon les astres ou selon des moyens mécaniques : calendriers, astrolabe, cadran solaire, chronomètre, clepsydre, horloge, montre, pendule, sablier, minuteur, etc. Il n’est guère surprenant que ces objets aient été les premiers représentés dans les oeuvres d’art pour symboliser l’écoulement du temps. Dans le tableau complexe La danse de la vie humaine (fig.11), dit aussi Allégorie de la danse et du temps, Nicolas Poussin présente trois figures féminines et une figure masculine dansant au son de la lyre du Temps tandis que l’Amour tient un sablier à ses pieds. Un autre enfant, parallèle à Cupidon, souffle des bulles à gauche. Derrière lui, le terme Janus symbolise le passé et l’avenir avec son double visage de vieillard et de jeune homme. Le chariot d’Apollon parcourt l’azur, entouré des heures et devancé par l’Aurore, image du jour qui s’écoule. Le dieu solaire brandit un cercle, symbole du cycle du temps. À cause de leur position inversée, les personnages de la ronde ne se regardent pas mais ils sont reliés les uns aux autres par le même mouvement qui les équilibre. Plusieurs interprétations ont cours : il s’agirait des quatre saisons (évoquées dans Le Songe de Poliphile de Francisco Colonna traduit et commenté par Guillaume Legrand en 1804) ou des allégories de la fortune, de la pauvreté, du travail et du plaisir, images qui jalonnent l’existence humaine. On se souvient que le commanditaire italien de l’oeuvre Giulio Rospigliosi (1600-1669), futur pape Clément IX, compose l’opéra sacré La Vita Humana (1656) pour la reine Christine de Suède. Il y fait figurer une action à thème moral en représentant les vertus et les vices (l’Aurore, l’Innocence, le Péché, la Vie, la Compréhension, le Plaisir ; les Vertus : l’Honnêteté, la Charité, la Constance, la Foi, la Patience, la Repentance, l’Espoir, le Zèle ; les Vices : la Concupiscence, la Fraude, l’Infidélité, l’Envie, la Colère, l’Orgueil).

  • L’inexorable fragilité du Sablier 
Jan Davidsz de Heem (1606-1683/84) Memento Mori, 1630-60, huile sur bois ©Museums Trust, York

fig.12 Jan Davidsz de Heem (1606-1683/84) Memento Mori, 1630-60, huile sur bois ©Museums Trust, York

Jan Davidsz de Heem effectue entre 1630 et 1660 son Memento Mori, (fig.12) c’est-à-dire « Souviens-toi que tu vas mourir ». Il s’agit d’une vanité qui montre un crâne (symbole de mort), un compas (mesure de la vie), des fleurs (fugacité des plaisirs), des bésicles qui ressemblent à des bulles et qui renvoient à la vacuité des orbites vides, une paille-pipe pour souffler des bulles et un sablier ailé (évocation de Chronos). Le sablier se retourne mais une fois écoulé l’ordre des grains de sable sera différent. Quoique le verre le protège, il reste un objet fragile. On peut voir les grains mais on ne peut les toucher, de même que le temps coule sans qu’on puisse le retenir. Ainsi, la vie humaine est vanité comme on le lit dans les paroles de Qohélet dans le livre biblique de l’Ecclésiaste, qui a donné son nom à ce type de peinture : « Vanité des vanités, tout est vanité ! (…) Tout s’en va vers un même lieu : tout vient de la poussière, tout s’en retourne à la poussière » (Eccl. 1-2 ; 4-20) Vanité, en hébreux Habel, signifie « buée, haleine » en évoquant l’illusion des choses. 

Lorenzo Lotto (1480-1556) Annonciation, 1528, huile sur toile ©Museo civico Villa Colloredo Mels, Recanati

fig.13 Lorenzo Lotto (1480-1556) Annonciation, 1528, huile sur toile ©Museo civico Villa Colloredo Mels, Recanati

Le sablier peut aussi marquer la séparation entre deux temps, surtout dans les représentations sacrées comme l’Annonciation, (fig.13) de Lorenzo Lotto (1480-1556). Situé entre la Vierge et l’archange Gabriel, il marque l’accomplissement des temps, selon la conception chrétienne de l’Incarnation, césure suprême entre l’Ancien Testament et le Nouveau Testament. Le chat, symbole du Mal, s’éloigne de l’Archange avec peur. Dieu est maître du temps et de l’Histoire, décrit par le prophète Daniel comme « celui qui fait alterner périodes et temps » (Dan 2.21). Le calendrier grégorien marque l’an 0, année de la naissance du Christ comme point de départ de la chronologie occidentale. Le calendrier hébraïque commence à la date dite de la création du monde qui nous placerait aujourd’hui en l’an 5576, tandis que le calendrier musulman, dit calendrier « hégirien » démarre avec l’Hégire (622) en nous plaçant en 1439 par correspondance à l’année 2016.

Henry Nelson O’Neil (1817-1880) Les adieux de Marie Stuart à la France, 1862, huile sur toile, collection particulière

fig.14 Henry Nelson O’Neil (1817-1880) Les adieux de Marie Stuart à la France, 1862, huile sur toile, collection particulière

Le sablier est présent dans les oeuvres à sujet tragique pour annoncer un destin fatal. Henry Nelson O’Neil (1817-1880) en fait le choix dans son tableau romanesque Les adieux de Marie Stuart à la France (fig.14) dans lequel il pose un sablier sur le pont du navire. Marie Stuart (1542-1567) reine d’Ecosse à l’âge de six jours, reine de France  à l’âge de 17 ans, veuve`juste après son mariage (1559-1560) elle quitte la France et s’embarque à Calais pour l’Ecosse le 14 août 1561. Enfermée par Elizabeth d’Angleterre en 1568, elle est décapitée en 1587. Ce destin tragique est propice à de nombreuses représentations à l’époque romantique. Le sablier fait songer à la phrase que Marie Stuart avait brodé sur sa robe en Angleterre : « En ma fin gît mon commencement ». Cette scène inspire des musiciens comme Robert Schumann et son Gedichte der Königin Maria Stuart et Richard Wagner dans sa composition Les Adieux de Marie Stuart sur des paroles du chansonnier Pierre-Jean de Béranger (3).

  • Les rayons mystiques du cadran solaire 
Rossetti, Dante Gabriel; Beata Beatrix; Tate; http://www.artuk.org/artworks/beata-beatrix-117682

fig.15 Dante Gabriel Rossetti (1828-1882) Beata Beatrix, vers 1864-70, huile sur toile ©Tate Gallery, Londres

Dante Gabriel Rossetti, peintre préraphaélite  marqué par Dante, s’inspire de la mort de Béatrice dans la Vita Nova pour son oeuvre Dante Gabriel Rossetti, Beata Beatrix (fig.15) en transposant le drame de la mort de son épouse Elisabeth Siddal, décédée en 1862 d’une overdose de laudanum. Il inscrit sur le cadre la date de la mort de Béatrice, et y fait sculpter dans des médaillons un soleil, une lune, des étoiles, la terre ainsi que la phrase des Lamentations du prophète Jérémie citée par Dante: Quomodo sedet sola civitas. La silhouette de l’homme vêtu de rouge à gauche porte un coeur enflammé. C’est  l’Amour qui tient le coeur de Dante, lui-même à droite. On distingue au loin la ville de Florence, le Ponte Vecchio et l’Arno. Le cadran solaire, signe de la brièveté de la vie, marque le chiffre neuf, car Béatrice est morte « en la première heure du neuvième jour du mois ».

  • Horloges, montres et pendules
Charles Cressent (1685-1768) Cartel d’applique « L’amour vainqueur du temps », vers 1745, bronze doré, cuivre, écaille ©musée du Louvre, Paris

fig. 16 Charles Cressent (1685-1768) Cartel d’applique «L’amour vainqueur du temps», vers 1745, bronze doré, cuivre, écaille ©musée du Louvre, Paris

Le cartel d’applique de Charles Cressent, «L’amour vainqueur du temps» (fig.16) permet de montrer le développement de l’horlogerie et tous les motifs décoratifs qui lui sont liés dès l’époque baroque. Il inverse ici avec humour le thème du Temps et de l’Amour en faisant dominer l’Amour !

 Salvador Dali (1904-1989), La persistance de la mémoire, 1931, huile sur toile ©MoMA, New York

fig.17 Salvador Dali (1904-1989) La persistance de la mémoire, 1931, huile sur toile ©MoMA, New York

Salvador Dali (1904-1989) invente les célèbres « montres molles » dans sa peinture surréaliste La persistance de la mémoire (fig.17) où les cadrans liquides expriment la dilatation des heures. Évoquons au passage la théorie des « trois temps » de Daniel Arasse qui considère qui rappelle les principales temps d’une oeuvre d’art : le temps de production, le temps de réception et le temps qui sépare production et réception (3).

3/ La fugacité du temps : Bulles et papillons

  • Homo Bulla est 
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fig.18 Jacques de Gheyn II (1565-1629) Allégorie de la mort et de la fugacité de la vie, 1599, gravure ©Rijksmuseum, Amsterdam

« Homo Bulla est », l’homme est une bulle, fragile, éphémère et condamnées à disparaître. Cette phrase de l’auteur Varron (Marcus Terentius Varro, 116-27 avant JC) sert d’ouverture à son manuel d’agriculture Rerum Rusticarum (livre 3): « quod, ut dicitur, si est homo bulla, eo magis senex » (« si l’on dit qu’un homme est une bulle, combien plus l’est un vieillard »). La sentence est reprise par Erasme dans son recueil d’Adages (première édition en 1500). L’Allégorie de la mort et de la fugacité de la vie (fig.18) de Jacques de Gheyn II témoigne très tôt de la diffusion de cette thématique et de sa diffusion dans les milieux intellectuels et artistiques par la gravure.

Jan Lievens (1607-1674) Enfant faisant des bulles de savon, 2e quart XVIIe siècle, huile sur toile ©musée des beaux-arts et d’archéologie, Besançon

fig.19 Jan Lievens (1607-1674) Enfant faisant des bulles de savon, 2e quart XVIIe siècle, huile sur toile ©musée des beaux-arts et d’archéologie, Besançon

Jan Lievens médite sur ce thème dans son Enfant faisant des bulles de savon (fig.19) dans lequel un enfant insouciant souffle des bulles de savon tandis qu’un crâne, des ossements et un sablier reposent à ses pieds. Le parallèle de l’insouciance et de la jeunesse avec le temps compté et la mort joue est éloquent grâce à l’usage de cette oxymoron pictural ou discordia concors, inspiré des figures de rhétorique, en juxtaposant deux thèmes opposés pour renforcer l’argument sous-jacent de l’oeuvre.

 John Everett Millais (1829-1896) Bubbles, 1885-86, huile sur toile ©National Museums, Liverpool

fig.20 John Everett Millais (1829-1896) Bubbles, 1885-86, huile sur toile ©National Museums, Liverpool

Édouard Manet, Les bulles de savon, 1867, huile sur toile ©musée Calouste Gulbenkian, Portugal

fig.21 Édouard Manet (1832-1883) Les bulles de savon, 1867, huile sur toile ©musée Calouste Gulbenkian, Portugal

Ce procédé est repris par John Everett Millais (1829-1896) dans son oeuvre Bubbles (fig.20) (qui devint l’enseigne d’une marque de savon anglaise!) et par Edouard Manet dans Les bulles de savon (fig.21) qui a une verve plus anecdotique. Dans l’Allégorie de la fugacité (fig.22-fig.23) Nicolaes van Veerendael (1640-1691) et Jasper Jacob van Opstal I (v.1610-1661 ?) se concentrent sur deux enfants joufflus et heureux joyeux de souffler des bulles à côté d’un immense bouquet de fleurs. Le pessimisme du crâne et du sablier a disparu.

 Nicolaes van Veerendael (1640-1691) ; Jasper Jacob van Opstal I (v.1610-1661 ?), Allégorie de la fugacité, vers 1660, huile sur toile ©musée de l'Ermitage, Saint Petersbourg

fig.22. Nicolaes van Veerendael (1640-1691) ; Jasper Jacob van Opstal I (v.1610-1661 ?), Allégorie de la fugacité, vers 1660, huile sur toile ©musée de l’Ermitage, Saint Petersbourg

 Nicolaes van Veerendael (1640-1691) ; Jasper Jacob van Opstal I (v.1610-1661 ?), Allégorie de la fugacité, vers 1660, huile sur toile ©musée de l'Ermitage, Saint Petersbourg

fig.23 Nicolaes van Veerendael (1640-1691) ; Jasper Jacob van Opstal I (v.1610-1661 ?), Allégorie de la fugacité, vers 1660, huile sur toile ©musée de l’Ermitage, Saint Petersbourg

La Vanité (fig.24) de Jacob de Gheyn II (1565-1629)  offre une lecture fascinante du thème de la bulle. Celle-ci, imposante, surmonte un crâne « riant » dans une niche sombre, en ayant une forte ressemblance avec les miroirs concaves ronds. Un premier-plan repoussoir abrite des pièces de monnaies (vanité des richesses), avec à gauche un vase avec une tulipe et un narcisse (vanité de la beauté qui se fane), à droite une urne fumante (thème funéraire). Deux statuettes représentant les philosophes  Démocrite (philosophe grec matérialiste mort en 370 avant JC) et Héraclite (philosophe grec mort vers 480, connu pour sa mélancolie, auteur du célèbre dicton « On ne se baigne jamais deux fois dans le même fleuve »).

 fig. 24 Jacob de Gheyn II , Vanité, 1603, huile sur bois, ©Metropolitan Museum, New York


fig. 24 Jacob de Gheyn II, Vanité, 1603, huile sur bois, ©Metropolitan Museum, New York

  • Chenilles et Papillons

Le thème de la chenille, du papillon et de la brièveté de vie de ce lépidoptère a permis de représenter la fugacité de la beauté. Le papillon, associé au plaisir est aussi symbole de l’éternité de l’âme en raison de sa physionomie: la chenille est signe de la vie terrestre, la beauté du papillon symbolise la vie céleste.

 Henry Alexander Bowler (1824-1903) The Doubt: 'Can these Dry Bones Live?’,1855, huile sur toile ©Tate Gallery, Londres

fig.25 Henry Alexander Bowler (1824-1903) The Doubt: ‘Can these Dry Bones Live?’,1855, huile sur toile ©Tate Gallery, Londres

Le tableau victorien d’Henry Alexander Bowler (1824-1903) The Doubt: ‘Can these Dry Bones Live?’ (fig.25, 26, 27, 28, 29) est particulièrement intéressant par son questionnement métaphysique induit par son titre. Sinistre en apparence, il révèle une multitude de symboles optimistes malgré le pessimisme du thème. Une jeune femme accoudée sur une stèle dans un cimetière anglais observe des ossements dans la terre en s’interrogeant sur la possibilité pour ses os de renaître à la vie, comme le dit Dieu au prophète Ezéchiel (37-4): « Il me dit: Fils de l’homme, ces os pourront-ils revivre? Je répondis: Seigneur Eternel, tu le sais. Il me dit: Prophétise sur ces os, et dis-leur: Ossements desséchés, écoutez la parole de l’Eternel! Ainsi parle le Seigneur, l’Eternel, à ces os: Voici, je vais faire entrer en vous un esprit, et vous vivrez ;… » La jeune femme, comme Ezechiel s’interroge sur le devenir de ces os desséchés. C’est alors que l’on voit un papillon bleu sur le crâne, puis un rayon de soleil se glisser sur la tombe jumelle et éclairer le mot « Resurrectio », tandis qu’un marron germe, présageant la renaissance éternelle. Cette parole évangélique est rappelée sur la stèle : « I am the Resurrection and the Life » (« Je suis la Résurrection et la vie »). Au fond, deux papillons volent parmi le cimetière, exprimant que le doute ne peut ôter la vertu d’espérance.

fig.25 Henry Alexander Bowler (1824-1903) The Doubt: 'Can these Dry Bones Live?’,1855, huile sur toile ©Tate Gallery, Londres

fig.26 Henry Alexander Bowler (1824-1903) The Doubt: ‘Can these Dry Bones Live?’(détail du papillon sur le crâne)

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fig.27 Henry Alexander Bowler (1824-1903) The Doubt: ‘Can these Dry Bones Live?’(détail du marron qui germe, du rayon du soleil et de l’inscription « Resurgam » sur la tombe)

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fig.28 Henry Alexander Bowler (1824-1903) The Doubt: ‘Can these Dry Bones Live?’(détail de la pierre tombale)

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fig.29 Henry Alexander Bowler (1824-1903) The Doubt: ‘Can these Dry Bones Live?’(détail des papillons volant au-dessus des tombeaux)

L’Allégorie de la vie humaine (fig.30 ; 31) de Joris van Son permet d’évoquer le papillon, souvent présent dans les nature-mortes, comme symbole éphémère ou d’éternité face à la mort, symbolisé par les moisissures ou les végétaux flétris présents dans ces tableaux, signes de décrépitude de l’existence.

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fig.30 Joris van Son (1623-1667) Allégorie de la vie humaine, vers 1658-1660, huile sur toile © The Walters Art Museum,

Joris van Son (1623-1667), Allégorie de la vie humaine

fig.31 Joris van Son (1623-1667) Allégorie de la vie humaine (détail)

Jetons un coup d’oeil rapide sur L’amour, dit aussi, L’amour prenant un papillon (fig.32) d’Antoine-Denis Chaudet (1763-1810) qui rappelle le mythe de Psyché. Cupidon effleure  le papillon comme l’Amour embrase l’âme et la mène vers l’immortalité.

Antoine-Denis Chaudet (1763-1810) L'amour, dit aussi, L'amour prenant un papillon, 1817, marbre ©musée du Louvre, Paris

fig.32 Antoine-Denis Chaudet (1763-1810) L’amour, dit aussi, L’amour prenant un papillon, 1817, marbre ©musée du Louvre, Paris

Enfin, terminons avec le tableau énigmatique de Pierre Bouillon, L’Enfant et la Fortune (fig.33) très probablement inspiré par la fable de La Fontaine La Fortune et le jeune enfant (5). L’allégorie de la Fortune se penche sur un enfant qui dort, allongé au bord d’un puits sombre, ouvert au premier plan. Par son placement, le spectateur assiste à la scène, comme s’il se trouvait sur la margelle, de l’autre côté. Il pourrait d’un mouvement de bras empêcher le drame de cet enfant en équilibre entre salut et mort. La mauvaise fortune poussera-t-elle l’inconscient dans le puits ou la bonne fortune le retiendra-t-elle ? Image de la chance ou de la malchance qui guette les êtres humains, inégaux dans leurs destinées ? Il s’agit avant tout d’un tableau didactique qui rappelle la chute de la fable : « Il n’arrive rien dans le monde/ Qu’il ne faille qu’elle en réponde./ Nous la faisons de tous Echos./ Elle est prise à garant de toutes aventures./ Est-on sot, étourdi, prend-on mal ses mesures ;/ On pense en être quitte en accusant son sort :/Bref la Fortune a toujours tort. » Bouillon transforme le récit de La Fontaine en discours pictural symbolico-moralisateur. Il renforce la dualité de la scène par le choix d’une lumière surexposée et émaillée (façon Girodet) et il introduit une série de symboles qui ne sont pas présents dans le texte originel : cinq osselets, des marguerites que l’on effeuille au hasard, une queue de serpent visqueuse dans l’herbe, de la ronce, un  chardon épineux menaçant, des papillons vivants et des papillons morts dont un a une aile coupée…À l’enfant de la fable, il préfère un jeune adolescent. D’autres artistes ont traité ce thème dont Gustave Moreau, Gabriel Bernard Seurre, J-B Oudry, Auguste Delierre, Paul Baudry.

fig. 33 Pierre Bouillon (1776-1831) L’Enfant et la Fortune, 1801, huile sur toile ©Musee des Beaux-Arts, Rouen

fig. 33 Pierre Bouillon (1776-1831) L’Enfant et la Fortune, 1801, huile sur toile ©Musée des Beaux-Arts, Rouen

Pierre Bouillon semble laisser au spectateur le soin de décider s’il s’agit d’une bonne ou d’une mauvaise fortune, en introduisant une méditation sur le destin. L’enfant dort, inconscient du danger qui le guette, comme l’être humain vit sans savoir quand il va mourir. Les papillons qui reposent sur le bord, à la fois morts et vivants semblent corroborer cette double interprétation de la transience de la vie.

©Gabrielle de Lassus Saint-Geniès, juin 2016

*Atelier partagé avec Mme Stéphanie Sarmiento-Cabana, inspectrice de l’Éducation nationale (Académie de Versailles) dont la communication n’est pas reproduite ici.

(1) François-René de Chateaubriand, Mémoires d’Outre-Tombe, Le livre de Poche, II, livre 22, chap.16, p.576.

(2) Virginia Woolf, Mrs Dalloway, Gallimard, Folio essais, (1925) 1994, p.168-169.

(3) Adieu, charmant pays de France, Pierre Jean de Béranger (1780 – 1857)

Adieu, charmant pays de France
Que je dois tant chérir!
Berceau de mon heureuse enfance,
Adieu! Te quitter c’est mourir!

Toi que j’adoptai pour patrie
Et d’où je crois me voir bannir,
Entends les adieux de Marie,
France, et garde son souvenir.

Le vent souffle, on quitte la plage,
Et peu touché de mes sanglots,
Dieu, pour me rendre à ton rivage,
Dieu n’a point soulevé les flots!

Lorsqu’aux yeux du peuple que j’aime,
Je ceignis les lis éclatants,
Il applaudit au rang suprême
Moins qu’aux charmes de mon printemps.

En vain la grandeur souveraine
M’attend chez le sombre Écossais;
Je n’ai désiré d’être reine
Que pour régner sur des Français.

France, du milieu des alarmes
La noble fille des Stuarts,
Comme en ce jour, qui voit ses larmes,
Vers toi tournera ses regards.

Mais, Dieu! le vaisseau trop rapide
Déjà vogue sous d’autres cieux;
Et la nuit, dans un voile humide,
Dérobe tes bords à mes yeux!

Adieu, charmant pays de France
Que je dois tant chérir!
Berceau de mon heureuse enfance,
Adieu! Te quitter c’est mourir!

(4) Daniel Arasse, Histoires de peintures, Gallimard, Folio essais, 2004, p.228-230.

(5) Jean de La Fontaine, La fortune et le jeune enfant

Sur le bord d’un puits très profond
Dormait étendu de son long
Un Enfant alors dans ses classes.
Tout est aux Ecoliers couchette et matelas.
Un honnête homme en pareil cas
Aurait fait un saut de vingt brasses.
Près de là tout heureusement
La Fortune passa, l’éveilla doucement,
Lui disant : Mon mignon, je vous sauve la vie.
Soyez une autre fois plus sage, je vous prie.
Si vous fussiez tombé, l’on s’en fût pris à moi ;
Cependant c’était votre faute.
Je vous demande, en bonne foi,
Si cette imprudence si haute
Provient de mon caprice. Elle part à ces mots.
Pour moi, j’approuve son propos.
Il n’arrive rien dans le monde
Qu’il ne faille qu’elle en réponde.
Nous la faisons de tous Echos.
Elle est prise à garant de toutes aventures.
Est-on sot, étourdi, prend-on mal ses mesures ;
On pense en être quitte en accusant son sort :
Bref la Fortune a toujours tort.