« La peinture arrête le soleil. L’architecture pétrifie la proportion, et la sculpture l’attitude. La poésie met en œuvre des matériaux résistants : mobile elle-même, elle impose au lecteur pour l’appréciation du spectacle, de l’ode, du récit, de la scène, du système raisonné, qu’elle soumet à son entendement et à sa sensibilité, une espèce de solidité judiciaire. Mais la musique nous entraîne avec elle. Bon gré, mal gré ! Il n’est plus question de rester assis à notre place. Elle nous prend par la main, nous ne faisons plus qu’un avec elle. Mais que parlé-je d’une main si brûlante et vibrante qu’elle soit dans la nôtre, ou, comme ce triste poète là-bas par terre qui les compte sur ses doigts, de pieds, ou de ce membre emplumé qui bat, ou de la contagion dans le ciel de l’élément et de la foudre ! C’est l’esprit même, comme un coup de vent irrésistible qui s’est emparé du nôtre et qui nous emporte ! rapt que nous n’évaluons que par le consentement plus ou moins hésitant ou subtil que nous lui accordons, par la conscience plus ou moins joyeuse ou maussade, ou effarée ! de notre propre projectile. Soutenus par la nécessité de cet accord à fournir, de cette phrase à tout prix à plénifier, nous volons sur l’aile du rythme, accrochés à la crinière de cette âme éperdue, maintenant comme détachée de la chair et aspirée par le but ; montant, descendant, désirante, libre, garrotée, plus lente, plus rapide, et parfois même arrêtée, sans autre support que l’oreille et le sens du temps, explorant toutes les dimensions d’un espace à son usage révélé. »
Paul Claudel, Sur la musique, in L’Oeil écoute, Folio essais, 1946, p.176-177.