L’Invitation au Voyage d’après Baudelaire par Henri Duparc (1870)

Voici une mélodie envoûtante et lancinante du compositeur Henri Duparc (1848-1933). Il a su saisir, tout comme Gérard Souzay les nuances du célèbre poème de Baudelaire pour évader le chanteur, le pianiste et l’auditeur, vers les soleils mouillés et les cieux brouillés du pays où l’on n’arrive jamais.

L’invitation au voyage

Mon enfant, ma soeur,
Songe à la douceur
D’aller là-bas vivre ensemble !
Aimer à loisir,
Aimer et mourir
Au pays qui te ressemble !
Les soleils mouillés
De ces ciels brouillés
Pour mon esprit ont les charmes
Si mystérieux
De tes traîtres yeux,
Brillant à travers leurs larmes.

Là, tout n’est qu’ordre et beauté,
Luxe, calme et volupté.

Des meubles luisants,
Polis par les ans,
Décoreraient notre chambre ;
Les plus rares fleurs
Mêlant leurs odeurs
Aux vagues senteurs de l’ambre,
Les riches plafonds,
Les miroirs profonds,
La splendeur orientale,
Tout y parlerait
À l’âme en secret
Sa douce langue natale.

Là, tout n’est qu’ordre et beauté,
Luxe, calme et volupté.

Vois sur ces canaux
Dormir ces vaisseaux
Dont l’humeur est vagabonde ;
C’est pour assouvir
Ton moindre désir
Qu’ils viennent du bout du monde.
– Les soleils couchants
Revêtent les champs,
Les canaux, la ville entière,
D’hyacinthe et d’or ;
Le monde s’endort
Dans une chaude lumière.

Là, tout n’est qu’ordre et beauté,
Luxe, calme et volupté.

Charles Baudelaire

Frederic Leighton, Idyll, 1880-81, collection particulière, huile sur toile,104.1 x 212.1 cm

Frederic Leighton, Idylle, 1880-81, collection particulière, huile sur toile,104.1 x 212.1 cm