L’ultime soleil (L’Oiseau-Lyre)

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L’ultime soleil

Les eaux des escaliers descendaient vers les rampes
De travertin fossile en une course lente,
Puis s’endormaient, soudain apaisées sous les pampres
Du bassin qui pleurait les défuntes amantes.

Les illusions du jeune homme s’étaient noyées
En ce lieu saint qu’un cygne fourbe profanait,
En cet ancien lieu où son cœur esseulé
Se nourrissait de vœux en la nuit des regrets.

Dans ce jardin où se miraient les cornouillers,
Autrefois l’eau dans sa cadence vive mêlait
Les couronnes des promeneuses aux robes d’alcées
Et l’odeur rayée de l’été qui ruisselait.

Ici, les mystères de la vieille nature
Réfléchissaient tout bas son âme solitaire,
Ses émotions aux précieuses mâtures
Comme ces navires qu’escorte très loin la mer.

Mais aujourd’hui tout est trouble et l’amour se cache
Dans la brume épieuse de la nuit réveillée,
La torpeur de ses jambes lassées par la marche
Semble s’étendre à son corps blessé tout entier.

Les verres d’or qui vacillèrent en vertiges
Reposent tout au fond de l’eau comme des cercueils,
Les fêtes d’antan sont à l’image des tiges
De blé fin ravagées par les faucilles en deuil.

Il voit là-bas sans sa lyre une nymphe en larmes,
Pauvre miroir et soeur jumelle de sa douleur:
Les chagrins les plus vrais sont ceux que ne dit l’âme
Et que le monde ignore comme il oublie les coeurs.

Les buissons de froid s’entrechoquent et s’inclinent
En proie à la terrible migraine des remords,
Laissant à la terre leurs fleurs orphelines
Et murmurant : « Voici, las, de vos beautés le sort !»

Car c’est le destin des gloires les plus violentes
Que de connaître la faillite éternelle,
Les heures mortelles aux aiguilles brûlantes
Avant le sourire en deuil de l’ultime soleil.