« Jamais l’amour n’inventa de galanterie plus ingénieuse ni plus nouvelle que ce bouquet poétique. »
La BnF conserve un magnifique trésor de poésie française illustrée, acheté par le Ministère de la Culture en 1989. Il s’agit du somptueux recueil de La Guirlande de Julie dédié à Julie d’Angennes (1607-1671) dont la mère n’est autre que la célèbre Catherine de Rambouillet (1588-1665) réputée pour son Salon bleu dans lequel elle rassemblait écrivains, précieuses et gens du monde au XVIIe siècle.
Un recueil exceptionnel, fruit de « la plus grande galanterie qui fut jamais »
Quand la jeune Julie d’Angennes se réveille le 22 mai 1641, jour de sa fête, elle trouve à son chevet un exemplaire de La Guirlande de Julie enclos dans un sac de peau d’Espagne. Le présent a été commandé par l’un de ses galants, le duc de Montausier qui fréquente le salon de l’hôtel de Rambouillet depuis 1631-32. En effet, la belle et spirituelle Julie d’Angennes (fig.2), surnommée l’incomparable Julie fait vaciller les coeurs dont celui de l’homme d’esprit Vincent Voiture. Elle attire une nuée de prétendants et inspire Madeleine de Scudéry qui la dépeint sous les traits d’Arthénice dans son oeuvre. La polygraphe Fortunée Briquet (1782-1815) a tracé un portrait édifiant de la jeune femme: « Sa beauté, son mérite, et la protection qu’elle accorda aux gens de lettres, lui donnèrent une grande célébrité. Dès sa plus tendre jeunesse, elle pénétrait les défauts les plus cachés des ouvrages d’esprit, et elle en discernait les traits les plus délicats. Elle fut l’un des principaux ornements de l’illustre hôtel de Rambouillet. C’est là qu’elle reçut les hommages des personnes les plus renommées par leur esprit et par leur politesse. » (1)
Le duc de Montausier (fig.3), épris de l’adorable jeune femme, a fait exécuter le prodigieux manuscrit en l’honneur de celle qu’il s’efforce de conquérir depuis plus de dix années, en vain ! Pour cela, il a fait appel aux plus grands écrivains de l’entourage de Julie et s’est lui-même mis à la tâche en composant seize poèmes. On compte parmi les auteurs Georges de Scudéry, Arnauld de Briottes, Racan, Tallemant des Réaux, le chevalier de Méré, le marquis de Rambouillet, peut-être Pierre Corneille, etc.
On imagine le ravissement de Julie d’Angennes découvrant ce recueil, unicum extraordinaire dédié à sa gloire. Avec quelle délectation elle ouvrit l’ouvrage richement relié en maroquin rouge par Le Gascon (15.-v.1653) et semé de ses chiffres entrelacés « J.L. », c’est-à-dire Julie-Lucine, pour apercevoir ensuite le frontispice entouré d’une ravissante guirlande de fleurs aux coloris délicats, ces fleurs qu’elle allait retrouver tout au long de l’ouvrage (fig.1). La page suivante présente une miniature du dieu Zéphyr, personnification du vent d’ouest, sous la forme d’un adolescent rose et joufflu environné d’un nuage, tenant une couronne et faisant jaillir des fleurs de son souffle sacré accompagné d’un madrigal de dédicace (fig.4):
« Recevez ô Nymphe adorable,
Dont les cœurs reçoivent les lois,
Cette COURONNE plus durable
Que celle que l’on met sur la tête des Rois (… ) »
Enfin, comme il est aisé de concevoir la délicatesse avec laquelle elle tourna les pages de « sa » Guirlande, en révélant les dessins des fleurs peintes sur vélin par Nicolas Robert alternant avec les soixante-deux madrigaux copiés par le calligraphe Nicolas Jarry (1615-1666) « célèbre entre tous car il était impossible de discerner là où sa plume s’était arrêtée pour reprendre de l’encre » (2). Même si l’ouvrage est aussi jeu précieux digne du bel esprit de l’époque, pour qu’un homme amoureux rassemble plus de soixante poèmes en hommage à sa bien-aimée en y faisant contribuer d’autres hommes, il fallait qu’il brûle d’une bien immense passion !
Un bouquet de fleurs poétiques
Le recueil est composé de vingt-neuf fleurs pour accompagner les poèmes, chacune étant accompagnée d’une illustration botanique raffinée. Ces illustrations de qualité témoignent du sens de l’observation du dessinateur Nicolas Robert qui a fait le choix de coloris très fins et émaillés pour faire écho aux divers madrigaux :
- la Couronne impériale
- la Rose
- le Narcisse
- l’Amarante
- l’Angélique
- l’Oeillet
- la fleur de Thym
- le Jasmin
- l’Anémone
- la Violette
- le Lys
- la Tulipe
- la Tulipe nommée flamboyante (fig.5 et 6)
- la Jonquille
- la Jacinthe
- le Tournesol (appelé « Eliotrope »)
- le Souci
- la Pensée
- la Fleur d’oranger
- le Safran
- l’Iris (appelé la « Flambe »)
- le Muguet
- la fleur de Grenade
- la fleur d’Adonis
- le Perce-Neige
- le Pavot
- l’Immortelle
- l’Immortelle blanche
- le Méléagre
Et que devint Julie ?
Fortunée Briquet admira beaucoup La Guirlande de Julie : « Jamais l’amour n’inventa de galanterie plus ingénieuse ni plus nouvelle que ce bouquet poétique ». La belle et vertueuse Julie n’était pas pressée de se marier mais elle finit par se laisser convaincre par le duc de Montausier à qui elle donna sa main le 13 juillet 1645 après l’avoir laissé soupirer pendant quatorze ans ! (3) Et comment ne pas résister à la si belle preuve d’amour d’un tel adorateur ? Malgré son caractère misanthrope, le duc devait être homme de qualité et bon car leur union fut très heureuse. Julie devint gouvernante du dauphin et dame d’honneur de la reine. Son époux mourut dix-neuf ans après elle, léguant ce volume à leur fille Marie-Julie de Sainte-Maure, duchesse de Crussol d’Uzès.
La Guirlande de Julie fut copiée en plusieurs exemplaires, publiée à Paris au XVIIIe siècle et rééditée au XIXe siècle avec succès au point de devenir un ouvrage de poésie populaire jusqu’au XXe siècle comme le montre le frontispice de Maurice Leloir et d’Henri Théodore Malteste dit Malatesta pour un projet d’illustration (fig.7) qui reprend les fleurs-clefs du recueil.
Que cette preuve d’amour rare, de poésie authentique et d’art véritable continue de nous émerveiller comme elle charma la précieuse Julie grâce aux subtilités indémodables du langage des fleurs.
©Gabrielle de Lassus Saint-Geniès
(1) Fortunée Briquet in Dictionnaire historique, littéraire et bibliographique des Françaises et des étrangères naturalisées en France (1804)
(2) Benedetta Craveri, L’âge de la conversation, Gallimard, (2001) 2002, p.113.
(3) Ibid. p.115 (« La Guirlande n’emporta pas le consentement de Julie, mais elle ouvrit une large brèche dans son indifférence. La régente Anne d’Autriche, le cardinal Mazarin, ses amis les plus chers, et surtout sa mère coalisèrent leurs efforts pour la pousser à franchir le pas. De son côté Montausier abjurait, dans l’espoir de pouvoir enfin l’épouser, la foi protestante de sa naissance. Tallemant des Réaux raconte que Julie capitula soudain, en mai 1645, la veille de ses quarante ans.(…) La cour de Montausier avait en effet duré quatorze ans. »)