Libanostalgie

Face à la mer depuis Beyrouth

Face à la mer depuis Beyrouth

Comme Lamartine avait raison quand il écrivait : « Si l’exil involontaire s’ouvrait jamais pour moi, je ne le trouverais nulle part plus doux que dans un de ces paisibles villages de Maronites, au pied ou sur les flancs du Liban (… ). » Voyager au Liban c’est se plonger dans les sources vives de cette terre biblique bénie par Dieu, terre ancienne et neuve. Comment ne pas songer avec nostalgie aux portes ouvertes qui ne se refermeront jamais dans les cœurs ? Le Liban qui était déjà tant aimé sans l’avoir vu, est désormais ancré comme une seconde patrie. On voudrait avoir plusieurs langues pour en chanter les beautés, la douceur des airs, le force généreuse de la nature, la sérénité de la mer, le soleil ardent, les parfums du romarin, le bleu des plumbagos, le pourpre des grenades, les vasques de géranium, les fontaines et jets d’eau et les dorures de la pierre.

Beyrouth

L’arrivée à Beyrouth est majestueuse : l’avion frôle la mer et glisse directement sur la piste d’atterrissage. La ville clignote de mille feux, vivante, lumineuse. Les montagnes se dressent comme le décor de ce grand théâtre de Beyrouth, ville des rires, des larmes, ville forte malgré les tragédies vécues, qui révèle de prodigieux chantiers de reconstruction. Les immeubles se succèdent, neufs, hauts, modernes, au milieu de bâtiments endommagés par la guerre qui tiennent encore debout avec des cicatrices impressionnantes. Les étoiles nous éclairent, la mer nous enveloppe, les collines nous regardent. Sachant le prix de la vie, les Libanais savent où résident l’essentiel. Ils se hâtent de donner avant que tout leur soit pris. Nulle part ailleurs le sens de la joie et de la fête n’a été plus réel, vrai et dépaysant. On nous conduit dans la nuit à travers les routes en mille tours et détours qui grimpent vers la colline chrétienne du Chouf. Les églises et les minarets se succèdent, les motards ne portent pas de casques, les voitures doublent à droite….Quelle liberté ! Les chemins de bitume pavés de petites lumières ressemblent à des diamants dans la nuit, en mille scintillements. Sous nos yeux, la Grande Ourse ronronne. Un poste de contrôle nous laisse passer…. On sent un frissonnement dans l’atmosphère nocturne. C’est le début d’une ascension vers un séjour où les délices paisibles s’offriront sans retour : ici la vie est donnée par Dieu comme une grâce qu’il convient de saisir en ouvrant largement les yeux, les mains, les oreilles….O Liban, pays des cinq sens…. « Ouvrez-vous portes éternelles ! »

Beit Ed Dine

Et l’Eden de Beit Ed Dine se révèle, riche de l’atmosphère baignée par Sénélé où les plantes exsudent leurs sucs d’une façon plus intime. Je reste persuadée que le parfum de la nature n’est pas le même le jour que la nuit. Le soleil qui s’absente laisse la sève des plantes en repos, les molécules qui ne sont plus touchées par ses rayons brûlants se calment et laissent infuser leurs arômes d’une manière nouvelle. Sous les arcades de pierre les flambeaux se déploient, les lampes scintillent et les tapis précieux étouffent, ou plutôt assourdissent les pas avec raffinement. Ici on raconte que les fontaine auraient été créées par les émirs dans les cours pour empêcher d’entendre les conversations indiscrètes !

Nature luxuriante

Nature luxuriante

Enfin, le jour se lève sur Beit ed Dine, la nature s’éveille pleine de bruissements d’oiseaux et de chants de cigales ; luxueuse, généreuse, abondante. Tout semble sacré. Les allées de lavande alternent avec les rangées de plumbagos bleu tendre. Les buissons de laurier plantent avec vigueur leurs racines dans la terre pour un tirer un baume enivrant. La menthe et le basilic se chuchotent des secrets. Les roses rivalisent avec les jets d’eau tandis que les câpriers rampent. L’eucalyptus froissé répand son parfum de hammam, les bougainvilliers inclinent leurs lueurs vers le sol, les champs de tournesols donnent aux paysages la teinte de la joie, le lierre s’entrelace aux roses trémières, les bananiers s’amourachent des hibiscus, les amandiers préparent en silence leur huile, les pêchers rivalisent avec les pruniers…

Mosaïque de Bacchus (musée archéologique de Beyrouth)

Mosaïque de Bacchus (musée archéologique de Beyrouth)

Là tout n’est qu’ordre et beauté…Baudelaire a toujours raison. La fontaine fait entendre son bruit frère de la source dans un large bassin rectangulaire en pierres bosselées solides et claires. Le diwan offre ses coussins moelleux pour l’inspiration du poète adonnée au farniente et à l’ « estive ». Comment décrire la touffeur de l’air des montagnes libanaises, à la fois chargé de chaleur et à la fois agrémenté d’un souffle frais ? Le regard se pose sur des merveilles : pierres, fleurs, arbres, sensations, soleil, eau, terre, feu, air. Jamais tous les éléments amoureux n’ont été aussi étroitement et harmonieusement mêlés. Les pommiers vifs, tendent leurs bras vers le ciel, les oliviers se donnent la main, les cyprès leur font écho, les géraniums entrelacent leurs doigts. Sur ces terres fertiles on en peut que comprendre avec quelle générosité les gens donnent ce que la nature leur a donné en abondance. Le don gratuit appelle le don !

Deir el Qamar

La Vierge miraculeuse de Deir el Qamar

La Vierge miraculeuse de Deir el Qamar

Deir el Qamar, cité des émirs, est appelée aussi « Couvent de la Lune » car il y avait un temple romain dédié à Astarté, déesse de la lune. En 451, le temple est transformé en église consacrée à la Vierge Saïdet-El-Talle (On se souvient que le Concile d’Ephèse proclamant la Vierge Théotokos a lieu en 431).  Druzes et Chrétiens vénèrent Notre-Dame de la Colline, en souvenir d’un miracle de la Vierge, évoqué par un tableau qui présente la Madone tenant son fils, avec une étoile sur l’épaule droite. Deir el Qamar devient capitale druze de l’émir Fakhr-Al-Din jusqu’en 1635. Lors de la messe dominicale, toute la célébration est chantée par le prêtre maronite dont la voix forte et virile résonne dans l’assemblée. Le chœur d’enfants et de jeunes répond et soutient la prière avec vigueur. La cérémonie sobre, belle, témoigne de la vitalité de la foi du Liban. À coté de l’église, la place des martyrs de 1860 rappelle que  les Français sont venus en aide aux chrétiens massacrés sous Napoléon III. L’empereur fit reconstruire la ville détruite en s’appuyant sur le traité de 1523 entre le Royaume de France et l’Empire Ottoman qui établissait la France  protectrice des minorités chrétiennes de l’Empire. 

Byblos, Tyr, Sidon,

Le petit théâtre de Byblos, face à la mer

Le petit théâtre de Byblos, face à la mer

Le long de la côte ouest la mer borde le Liban d’une éternelle frange bleue. Il faut voir les ports de Byblos, Tyr, Sidon. Là, on s’accoude sur le rebord de la  Méditerranée, si calme, si pacifique, et « huileuse » tant son aspect apparaît sereinement. Une légère brume tiède se dégage en jouant avec la lumière du soleil ardent. Comment ne pas se sentir inspiré devant tant de splendeur ? Le temple des obélisques attire sur ses pointes les rayons du soleil. Le bleu de la mer s’unit au bleu du ciel tandis que la lumière solaire irise l’eau comme une robe de soie aux reflets nacrés. Un minaret appelle à la prière. Les cloches sonnent l’Angélus.

La via de Tyr

La via de Tyr

Face à ces vieilles villes antiques, on comprend mieux l’histoire de l’écriture, le passage du hiéroglyphe au Phénicien, et la mutation de l’alphabet du grec au latin et les longues genèses de notre civilisation occidentale. C’est l’occasion d’évoquer la magnifique mosaïque d’Europe, princesse de Tyr, enlevée par Zeus. Son frère Cadmus part à sa recherche et fait une étape à Delphes où l’oracle lui annonce qu’il fondera une cité à Thèbes. Il y transmettra l’alphabet phénicien aux Grecs. Figées dans les mosaïques, les divinités mythologiques, les Bacchus, les rinceaux de fleurs, les couronnes de fruits se marient avec les motifs géométriques et animaliers. Sur la grande via de Tyr, ville qui développa le commerce de la pourpre tirée du coquillage Murex,  combien de voyageurs ont marché avant nous ? Le silence de leurs pas fait écho aux nôtres.

Personnage ailé, sur un sarcophage de Tyr

Personnage ailé, sur un sarcophage de Tyr

Gabrielle de Lassus Saint-Geniès, juillet 2016